HYMNE A VOIX BASSE POUR CÉLÉBRER L’UNION AVEC LA TERRE

 

 

Assez longtemps nous avons navigué sur tes Mers de Sérénité et tes lacs des tempêtes,

assez longtemps erré entre les archipels des nuages désirables,

O Ciel ! Et nous avons bu assez follement, Soleil,

À tes fontaines de porphyre, à tes hautes cascades !

Maintenant, de même qu’un voyageur, las de voir sur la mer éternellement déserte,

le sillage du navire se défaire et renaître,

n’aspire plus qu’à retrouver la pierre usée du seuil,

la rampe polie par des mains sans nombre,

et le souffle d’une épouse douce, -

je me retourne vers toi, humble amie de toujours, ô terre !

Si j’ai soif encore, ce n’est plus que de la paix sombre.

Un jour, mes os reposeront près des aimés jusqu’à la trompette de l’Ange,

mais aujourd’hui, c’est vivant qu’en toi je veux descendre.

Elle est aimable et fraîche à mes pieds nus ton épaisse toison d’herbes sèches et de fleurs,

nourrie de pluie et de fruits mûrs,

et toute murmurante, comme une grande ruche,

d’un petit peuple obscur !

L’odeur qui s’en élève est une vaste houle verte où je roule et vacille,

ah ! je me penche, je m’abîme !

Je me penche vers toi, mais ce n’est pas, ô Déméter,

pour t’écorcher, te dépouiller, te déchirer, te retourner,

mais plutôt, très doucement uni à mon ombre, pour m’étendre sur toi,

non comme le maître qui prend mesure et possession de son domaine,

non même comme l’époux joint à l’épouse en un unique baiser immobile,

mais plutôt comme la barque flottant confiante sur la vague

ou comme le petit enfant qui, las de vagabonder par les royaumes bleus de la féerie,

retrouve les genoux de sa mère, et la nuit nourricière et le lait de l’amour.

Qu’avions-nous besoin encore de ce grand corps d’homme ?

Ces bras impatients, qu’en ferions-nous ? À quoi bon

ces jambes qui ne nous ont point porté vers la Terre Promise ?

Prends-les donc, ô mère !

Et ces genoux trop durs, ces pieds cassés, ce menton provocant,

prends-les, efface-les !

Qu’ils tombent lentement comme pierres dans l’onde !

Ah ! qu’il s’ouvre donc, comme sur l’étang noir le Lotus rose et très pur s’ouvre au souffle du soir,

qu’il s’ouvre, ce poing dur ! et qu’il fonde en caresses !

qu’ils se ferment, ces yeux qui n’ont plus affaire aux clartés du jour,

et qu’ainsi, cœur contre cœur, je repose en toi, ô mère,

mort et vivant, mort avant la nouvelle vie,

relié au ciel qui m’effleure et passe là-haut comme la pensée de l’éternel,

par le seul fil ténu d’un souffle bienheureux.

 

La Poyat, 24 août 1973