ARMOR

 

Tu m’as jeté, destin, dans un pays de châteaux, de jardins, de vallées, - mais, ce soir, c’est à toi que je pense, vieille et pauvre Armorique, mère de ma seconde et trop rêveuse enfance.

 

Que ne suis-je né à l’ombre de l’une de ces chapelles d’un gris très doux de grès et de lichens, qu’un arbre simple abrite et dont la porte ouvre dans l’herbe,

 

Dédiées à quelque rebouteux de saint au nom plaintif et charmant, comme Guénolé ou Colomban.

 

Que n’ai-je vu le ciel pour la première fois se refléter dans l’eau très fraîche et pure d’une fontaine sacrée !

 

Un nuage bouge, un bourdon vole, on entend le ronflement assoupi d’une batteuse

 

Se mêler au lointain soupir de l’Océan.

 

Et là-haut, dans l’azur apparu entre les nuées, une mouette tournoie et jette sa clameur barbare

 

Comme l’appel d’un esprit du mal.

 

Mais tout d’un coup ce souffle, ô douceur, ô pardon…

 

Ah ! dites-moi pourquoi mon âme de ce soir n’est point pareille

 

À l’un de ces vieux missels couleur d’ivoire jauni où traîne un relent d’encens,

 

Qui s’ouvre en chantonnant sous le doigt d’une vieille,

 

Et voilà que sous le berceau bleu de la nef obscure

 

Monte la grande paix de Dieu…

 

Je pense à toi, ce soir, mère de mon enfance.

 

janvier 1977