CHAPELLES BRETONNES

 

 

    Si les cathédrales gothiques jettent vers le ciel le cri d’une foi éperdue ; plus proches de la terre, si les églises romanes dessinent pour notre bonheur la courbe harmonieuse d’une sagesse à notre mesure, - les chapelles bretonnes, qui font corps avec notre mère la terre, avec le roc, sont l’humilité même.

 

   Beaucoup ouvrent directement dans l’herbe d’un pré ou sur un coin de lande dont une marche les sépare. Pour voisines, elles ont une ferme couverte en chaume, ou, comme à Tronoën, une vieille barque retournée, asile de volailles que votre approche met en fuite. Un seul chêne de bonne antiquité suffit à les recouvrir de sa fraîcheur, les cachant du même coup au passant que meut quelque fugace curiosité. Ainsi préservent-elles encore, au siècle de l’agitation et du vacarme, un semblant de paix pour méditer un profond passé.

   Si pauvres sont-elles, en dépit de ce beau granit rose ou argenté que rehausse un lichen couleur de fleur d’ajonc, que plus d’une a pour sol la terre battue, comme les plus anciennes chaumières. Si modeste la taille de celle à qui je songe – n’était-ce pas du côté de Fouesnant ? – que par cet échelonnement de pierres plates courant dans la saignée du transept, un chat gagnerait en trois bonds le sommet du toit, jusqu’à cette cloche suspendue en plein vent, - depuis combien de temps endormie ? Sous le poids des siècles, l’échine de cette autre a fini de fléchir. Si basse déjà, ramassée sur elle-même pour mieux affronter le rude vent de la mer toute proche, on dirait qu’elle se tasse encore, la bonne vieille, afin de rejoindre la paix des morts…

   Hélas, presque toutes sont fermées maintenant, à cause – qui l’eût pensé naguère encore ? – des voleurs. Peut-être, avec un peu de chance, une bonne âme qui passait par là vous apprendra-t-elle que la clé se trouve entre les mains de la nièce du curé, mercière à ses heures ; mais à cette heure-ci, il ne serait pas surprenant qu’elle soit justement « après soigner » ses lapins. Heureusement le Saint-Esprit veillait, ou du moins le bon génie d’un jour de bonheur éclairé par la piété… Justement voici la vieille qui s’avance, un peu confuse, - un peu méfiante aussi d’abord ; mais le nom de l’aïeule audiernoise a fait merveille et nous voilà seuls enfin avec le vieil édifice. Il n’a point trop mal vieilli. On a reverni la porte, remplacé les lattes crevées au berceau bleu de la voûte, et même – non, nous ne rêvons pas – installé micro et haut-parleurs. Mais on n’a pas changé, Dieu merci, ces fermes et frais piliers de grès un peu humide, ni le bateau de pêche en réduction suspendu là-haut par des fils de fer, ni surtout ce riche relent de vétusté, amalgame stagnant d’encens, de cierge brûlé, de moisissure et de piété plusieurs fois séculaire.

   Si la porte demeure obstinément close, vous pourrez du moins vous consoler avec le calvaire de l’enceinte, dont les figures, à peine identifiables sans le secours du Guide vert ou du Saint-Esprit, semblent lentement retourner au rocher d’où elles furent tirées. Avec un peu de chance, vous pourrez même trouver, derrière l’abside, une de ces fontaines sacrées dont la Bretagne s’est fait un monopole et dont elle garde le secret. Sous sa niche de verre, le saint local, un peu rebouteux de son état comme tous ses confrères, conserve à travers les temps ses joues enfantinement fleuries ; mais les demoiselles en mal de mari, celles qui avaient quelque secrète grâce à solliciter, ne font plus en priant, en chantant, comme on me l’a conté, sept fois le tour de la fontaine et de son lavoir ; elles préfèrent le courrier du cœur. Au lieu des gracieux visages naguère encore penchés sur son miroir, l’eau troublée de la fontaine sainte ne reflète plus que la fuite des jours et celle des blancs nuages…

 

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   Petites chapelles de Bretagne, surgies quand on y pensait le moins comme les grâces du ciel, divinités protectrices, fidèles amies ; je ne refermerai pas ces pages écrites en votre honneur, que je n’aie évoqué, de vous toutes, la plus émouvante. C’était à la pointe du Van, qui ferme au nord la baie des Trépassés. Le soleil d’une matinée de juillet faisait chatoyer la bruyère en fleur, les mouettes se laissaient joyeusement emporter par le vent, les ailes étendues, ou luttaient contre lui, la plume vibrante, tandis que tout en bas, les vagues jouaient au pied des rochers, blanchissant à peine. C’était un jour de bonheur, une de ces heures où l’on se sent tout à coup mystérieusement réconcilié avec le monde, avec la vie et les vivants. Mais ma tendresse allait tout particulièrement, au bord de la falaise, à cette très modeste chapelle en granit (close elle aussi !) ceinte d’un muret, qui élevait à contre-jour sa croix de pierre toute simple au-dessus de l’abîme lumineux de la mer.

 

27 juillet 1993

 

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