Pages feuilletées
Quatre enfants et un rêve, par la famille des Pallières
(éditions Albin Michel, 1984. Réédité chez Nouvelle Cité en 2004))
Il y a des livres qui font rêver, qui remontent le moral, qui donnent des couleurs à la vie. Des livres qu’on relit toujours avec le même ravissement.
«Christian. - J’te dis que
c’est ceux qu’on a vus à la télé !
-
Penses-tu !...
- Mais
si, avec les quatre gosses… Je reconnais la carte, sur le camion !
J’ouvre
un œil. Ça sent bon l’herbe et la campagne. Dedans, tout le monde dort mais,
dehors, Nain-Bus s’est fait repérer.
(…)
Jusqu’ici nous en parlions. C’était moins dangereux. C’était un projet. NOTRE
PROJET ! Un peu comme un cinquième enfant, mais bizarre celui-là. Depuis
des mois il alimentait les conversations. Nous étions intarissables. Cela
amusait tout le monde, et nous occupait bien. Le soir, nous nous endormions
sagement, en rêvant de jungles, de fakirs, et de tapis volants. Un jour, nous
irions là-bas… Nous allions partir… Nous partirions… Bref, nous « tartarinions »
allégrement.
Seulement
voilà : depuis hier soir, nous sommes partis ! »
Ce livre est l’œuvre de toute une famille, qui avait prévu comme titre : L’école buissonnière en famille. L’éditeur a préféré un titre plus banal, ce qui à mon avis est dommage.
De quoi s’agit-il ? La famille des Pallières vivait paisiblement à Meudon, à côté de Paris. Le père, Christian, était cadre chez IBM. La mère, Marie-France, ex-prof de français, mère au foyer. Les quatre enfants, à l’école. Bref, des gens comme les autres. Enfin pas tout à fait comme les autres : ils adorent les voyages en famille, et ils ont formé une chorale familiale :
« Christian. Déjà, l’année
dernière, alors que nous sortions du film La famille Trapp et que chacun essuyait sa dernière larme,
j’avais lancé cette phrase imprudente :
- Ce
serait rudement bien de pouvoir chanter comme eux !
Le soir
même, quand nous nous étions retrouvés tous els six dans le salon, je ne me
faisais déjà plus d’illusion sur l’avenir de notre chorale. Il fallait absolument
renoncer ou se lancer dans le play-back, mais de toute façon ne pas nous
brouiller avec nos voisins.
C’était ne
pas compter avec la ténacité de Marie-France ! »
Et voilà qu’un jour gris où la famille sort (à nouveau) « du cinéma, un film plein de soleil et d’aventures », Christian lance en plaisantant une phrase du genre : « Et si nous partions faire le tour du monde en chantant ? » Et Marie-France, qui prend tout au sérieux, le prend au mot.
« Merveilleuse
Marie-France ! J’aime en toi cette fraîcheur, cette possibilité de marcher
dans tout avec un enthousiasme d’enfant ! »
Voilà donc aussitôt les des Pallières en train de préparer le voyage. Ils n’ont pas un sou d’avance. Il faut décider de l’itinéraire, faire un dossier pour trouver des sponsors surtout pour le camping-car, économiser, se documenter sur les pays concernés, obtenir pour le père 18 mois de congé sans solde, et pour les enfants l’autorisation de manquer l’école 18 mois. Les parents s’engagent bien sûr à faire l’école eux-mêmes à leurs enfants, ce qui ne leur pose pas de problèmes.
Au bout d’un an et demi, après avoir écrit en vain des milliers de lettres, ils obtiennent enfin de la société Sodis un camping-car, baptisé aussitôt Nain-Bus. Autres sponsors : Kodak, Pathé Wébo, Nikon, Camping-gaz… Il faut aussi faire les bagages : loger dans un petit espace tous els objets nécessaires pour vivre 18 mois dans des pays dépourvus de tout, ce n’est pas évident. Il faut beaucoup d’organisation.
Enfin, après un dernier concert à Meudon, nos amis partent le 2 août 1977. Caroline a 12 ans, Bertrand 11, Isabelle 8 et Éric 6.
La traversée de l’Europe se passe sans problème. À Istamboul on commence à rencontrer des gens pittoresques, par exemple une expédition d’Espagnols super-équipés qui vont à Bornéo et regardent de haut notre petite famille française qui fait amateur.
« C’est
avec ça que vous partez ? Vous ne passerez pas les pistes, c’est trop
bas. »
En effet malgré des « purges sévères », Nain-Bus
est encore trop chargé, il faut supprimer des bagages, mais quoi ?
« Christian. J’ai une idée :
« Les bouquins de classe ! »
Un franc
succès à l’arrière. Ça flaire la démagogie.
- Et
leurs programmes, alors ? s’inquiète Marie-France.
- Et le
nôtre ? L’école buissonnière avec des bouquins, tu as déjà vu ça,
toi ?
(…)
L’école passive, cette bouffeuse d’enfance, à vous dégoûter le plus curieux des
cerveaux ! Bouh !... Rien que d’y penser, j’en ai des frissons.
- Ben,
on n’a qu’à voter, propose sournoisement Isabelle.
La
démocratie marche bien dans la famille : le soir même, cet âne de Nain-Bus
se soulageait honteusement de quinze kilos. »
«Marie-France. J’avoue que je suis
un peu inquiète. Jusqu’ici, tout s’est bien passé, mais c’était l’Europe. À
partir d’Ankara, tout ce qui nous paraissait aussi évident que l’eau potable,
une douche, un morceau de viande, du lait, un camping ou une bonne route, tout
va devenir un problème. »
Pour éviter au maximum les problèmes, il faut beaucoup d’organisation : on affiche un règlement, à propos de l’eau. Pendant tout le voyage, on préparera tous les jours un jerrican d’eau avec des pastilles désinfectantes, et on ne boira rien d’autre. Et aussi, on prendra tous les jours de la nivaquine, pour éviter le paludisme.
À Diyarbakir, les des Pallières trouvent les Kurdes très accueillants. La nourriture de voyage est plutôt sommaire : du pain, des oignons et de la margarine.
Les Iraniens leur paraissent beaucoup moins sympathiques. Nos voyageurs traversent le pays le plus vite possible, en une semaine. Une nuit, ils sont obligés de s’arrêter pour dormir dans un endroit sinistre. Ils se méfient et décident de monter la garde. Au milieu de la nuit, Christian voit des bandits se diriger vers Nain-Bus, il démarre en trombe, et les voilà sauvés par sa présence d’esprit.
Le 12 octobre, ils arrivent en Afghanistan, où ils vont passer deux mois.
« Caroline. Nous avons été un peu malades à cause de
l’eau du réservoir, où Papa et Bertrand avaient mis trop d’eau de javel. Mais
nous sommes tous bien guéris. Nain-Bus est installé dans la cour d’un hôtel,
mais nous allons changer, parce qu’ils nous font payer 30 afghanis par jour (3
francs) et que les toilettes sont vraiment dégoûtantes. Nous avons un nouvel
ami afghan très gentil. Dans sa famille il y a neuf filles et deux garçons.
Pour le moment nous ne connaissons qu’Isaac qui a 13 ans et qui tient une
minuscule boutique de tout un petit bazar. Mais demain nous devons allez
déjeuner chez eux. Pourtant il paraît que c’est très rare d’être invité à
l’intérieur des maisons afghanes. En attendant, Isaac nous a appris un peu le
dari, pour que nous puissions faire nos courses, et il a prêté à Papa un drôle
de vélo. »
« Marie-France. Merveilleux
après-midi passé au milieu de cette famille. Ici il n’y a rien, ou presque,
l’avenir est incertain, et pourtant, quelle joie simple et
profonde ! »
Ensuite, traversée du « désert de la
mort »,
23 octobre, Kaboul,
« Les
jours s’écoulent, heureux. Nous avons décidé de rester à Kaboul pendant plus
d’un mois. Nous rattraperons notre retard dans la rédaction du journal de
bord : c’est le seul travail par écrit, pour les enfants ! Tout le
monde a bien récupéré, et les mines font plaisir à voir. »
La patronne du Gulzar Hotel, où ils campent, est une Allemande énergique qui se lie d’amitié avec eux. Tous les soirs ils chantent pour les clients de l’hôtel, en échange du dîner.
« Pourquoi
sommes-nous si heureux ?
À Kaboul ils rencontrent Serge de Beaurecueil[1], prêtre dominicain français qui recueillait des enfants orphelins ou handicapés.
Ils ont aussi l’occasion de sauver un jeune Anglais très malade et sans argent qui doit être rapatrié d’urgence.
En décembre à
Les voilà subitement dans un climat tropical. Ils sont en Inde.
« Des
myriades de beaux visages aux cheveux de jais, de regards noirs, profonds,
fascinants, et l’impression de n’avoir connu jusqu’ici que des déserts. »
À Delhi, ils passent un étrange Noël : la banque ne leur a pas encore envoyé l’argent de l’emprunt, il ne leur reste que quelques roupies, et l’ambassade de France est fermée pour plusieurs jours.
« Après
tout, pour Noël, dans ce pays, c’est peut-être mieux comme ça. »
Ils ne mangent que du pain et des légumes et fêtent Noël avec un bol de chocolat partagé avec une jeune femme qui vit sur le trottoir avec ses enfants mais qui sourit tout le temps. Quelques jours plus tard, dans l’antichambre de l’ambassadeur, on a une description aussi drôle que féroce de divers hippies venus eux aussi emprunter de l’argent à l’ambassadeur.
Ils retrouvent les Espagnols qui étaient si sûrs d’eux à Istamboul : pannes, agressions, maladies et problèmes divers, c’est la déconfiture totale. Pour les des Pallières, par contre, tout va bien.
Ils donnent un concert à l’Alliance Française. Après le concert ils s’aperçoivent que Nain-Bus a été cambriolé : il manque le magnétophone et le sac de partitions. C’est la seule mésaventure qui leur arrive en Inde.
Ils séjournent plusieurs mois dans le Rajasthan : ils sont invités à un mariage, puis chez un maharajah, ils participent aux travaux agricoles dans un village, à des cérémonies religieuses. Ils sont heureux de cette vie chaleureuse et simple.
« Voici
mon Christian qui arrive, entouré d’une horde de gosses. Je le sais heureux, et
je pense à l’école qu’il avait créée autrefois en Kabylie. Comme il l’a ratée,
sa vocation ! »
Il commence à faire très chaud, il faut continuer le voyage. Bénarès, Patna, puis les voici au Népal, à Katmandou.
Après un sublime lever de soleil sur l’Himalaya, retour dans une Inde écrasée de chaleur. Impossible de dormir, entre la chaleur et les moustiques. C’est au Pakistan qu’ils apprennent le coup d’état de Kaboul, l’arrivée des Russes. La frontière est fermée, il faut attendre dans une canicule terrible.
« Et
si la frontière ne rouvrait plus du tout ? Ici, nous n’avons presque plus
d’argent, alors qu’un virement nous attend à la banque de Kaboul. Quand je
pense que Christian y a fait envoyer les derniers 4000 francs qui restaient sur
notre compte ! »
Mais bien sûr tout s’arrange, la frontière s’ouvre, dix jours après ils retirent leur argent et vont saluer leurs amis afghans (qu’ils n’ont jamais revus depuis…)
Retour par l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Afrique du Nord, et le 20 novembre 1978, 16 mois après leur départ, les voilà à Meudon.
« Une
étrange impression de désert. Beaucoup de voitures, de métal, de ciment, mais
si peu de gens… Où sont ces myriades d’enfants qui couraient dans le soleil ? »
Les enfants retournent à l’école. Pendant leur école buissonnière, ils ont appris les langues, l’histoire, la géographie, et bien d’autres choses. Ils ont rédigé régulièrement leur journal de bord. Ils n’ont eu aucun mal à réussir brillamment leurs études.
Quelques années après, en 1984-1985, la famille des Pallières a fait un second voyage : avec un nouveau Nain-Bus, ils sont allés en Chine, en passant par l’Arabie et en revenant par le Transsibérien. Ils n’ont jamais eu le temps d’écrire un livre pour raconter ce deuxième voyage, car Marie-France a dû travailler (à l’archevêché de Paris) car ces voyages coûtent quand même cher.
Après le voyage en Chine, ils ont adopté un jeune Afghan (un des enfants du Père de Beaurecueil), Wâhed, qui a l’âge d’Éric.
Caroline, après des études de médecine, est entrée à l’Arche de Jean Vanier.
Bertrand est banquier à Londres et a trois enfants.
Isabelle, après avoir été cheftaine de louveteaux de mon fils aîné et marraine de ma fille aînée, est devenue éducatrice spécialisée. Elle vit en Auvergne avec son mari (un théologien bavarois), leurs six enfants, et plein d’animaux.
Éric travaille à l’étranger et a épousé une jeune Asiatique.
Wâhed vit à Paris.
Christian et Marie-France ont pris leur retraite le plus vite possible et sont partis vers de nouvelles aventures : ils ont fondé à Phnom Penh l’association « Pour un sourire d’enfant » http://pse.asso.fr/index.php et scolarisent des milliers d’enfants des rues.
Voilà, j’espère vous avoir donné envie de vous plonger dans ce récit plein d’humour et de chaleur humaine !