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Jean Toulat, Les forces de l’amour. De Jean Vanier à Mère Teresa,

Editions SOS (Secours Catholique), 1980

 

Jean Toulat est mort il y a quelques années. Ce prêtre, originaire des Deux-Sèvres, a publié beaucoup de livres sur la peine de mort, l’avortement, l’euthanasie, la bombe atomique, l’objection de conscience, enfin sur le respect de la vie sous toutes ses formes. Il collaborait aussi régulièrement à beaucoup d’hebdomadaires catholiques. En 1980 il a publié aux éditions du Secours Catholique un livre intitulé Les forces de l’amour . De Jean Vanier à Mère Teresa.

« Notre planète se refroidit, dit-on. Et les cœurs ? Égoïsme, course au profit, soif de jouissance, appétit de puissance, culte de la technique, oubli de l’homme : tout ce qui mine notre civilisation n’a-t-il pas une même source, le manque d’amour ? (…) Tout ce qui oppose les hommes peut se fondre au feu de l’amour, ce mot étant pris au sens révolutionnaire où l’entendait l’apôtre Paul quand il écrivait aux dockers de Corinthe : « L’amour peut tout vaincre » ; c’est une « arme non charnelle qui a, par la force de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses ». N’est-ce pas cela la véritable arme absolue ? Sur la route de mes reportages, en France et dans le monde, j’ai rencontré cet Amour ».

Et dans les chapitres du livre, nous voyons défiler toutes sortes de gens admirables que Jean Toulat a rencontrés.

 

D’abord Jean Vanier. Jean Vanier, à l’étranger, est aussi connu que Mère Teresa, mais en France, où il vit, il est assez peu connu, ce qui est paradoxal. Son père, le général Vanier, était ancien ambassadeur du Canada à Paris. Jean Vanier fut officier de marine, puis professeur de théologie et de philosophie à l’université de Toronto. Après quoi, à 36 ans, en 1964, il s’installe dans l’Oise avec deux handicapés mentaux. Ainsi naquit la communauté de l’Arche, à Trosly-Breuil près de Compiègne. « L’Arche », parce qu’il espérait sauver ainsi les inadaptés en les empêchant de se noyer dans le déluge du monde moderne. Le général Vanier, à cette époque, était gouverneur général du Canada.

« Et voilà son fils, promis à une brillante carrière universitaire, qui choisit un obscur village pour y vivre avec deux exclus ».

La nouvelle fit sensation. Mais l’Arche, depuis, a beaucoup grandi : elle a des communautés dans le monde entier. Chaque maisonnée se compose pour moitié de handicapés mentaux (adultes) et pour moitié de personnes « normales » appelées les « assistants ». Certains assistants restent un an ou deux, d’autres beaucoup plus longtemps. À l’Arche, la vie n’est pas facile, mais tout le monde a l’air heureux. Les handicapés travaillent dans des ateliers, dans la mesure de leurs possibilités. La prière est au cœur de l’Arche. Les personnes handicapées sont très réceptives à l’Évangile et elles ont une richesse de cœur extraordinaire. Jean Vanier passe son temps à parcourir le monde pour enseigner, prêcher des retraites, fonder de nouvelles communautés.

« La paix ne peut venir sur terre que si les riches apprennent à partager ».

« Finalement, les handicapés, c’est vous, c’est nous. Les gens normaux sont généralement tristes ».

Il a aussi contribué à fonder, avec Marie-Hélène Matthieu, l’association Foi et Lumière, en 1970, pour le pèlerinage à Lourdes de 4000 handicapés mentaux. Après le pèlerinage, le mouvement continue, mouvement d’amitié et d’entraide pour les handicapés et leurs parents.

 

Puis quelques « semeurs d’espérance ».

Denise Legrix, née sans bras ni jambes, mais qui a publié des livres, qui fait de la peinture et donne des conférences.

Jacques Lebreton, qu’une grenade a privé de ses mains et de ses yeux à l’âge de 20 ans, mais que la foi a conduit à témoigner de sa joie de vivre. Lui aussi donne beaucoup de conférences.

Jean Brissé Saint-Macary, notaire, mesurant 1, 34 m, a fondé l’association des personnes de petite taille. Il a lui aussi beaucoup souffert surtout dans sa jeunesse mais il disait à la fin de sa vie : « Finalement, ma vie a été belle ».

 

Martin Gray, lui aussi, est bien connu.

« Son livre Les forces de la vie dit des choses toutes simples mais capables de transformer une existence : « Vous avez en vous une force insoupçonnée, une source d’énergie quasi inépuisable. (…) Vous êtes comme un mendiant assis sur un sac d’or et qui ignore cette richesse. Mon but, c’est d’aider chacun à la découvrir. Moi-même, je n’en avais pas conscience. Ce sont les épreuves qui me l’ont révélée en m’obligeant à recourir à ce qu’il y a en moi de plus profond ».

À 17 ans, il est à Treblinka où il perd sa mère et ses frères. Il s’évade, rejoint le ghetto de Varsovie, où il perd son père. Après la guerre il fait fortune à New York, il se marie avec Dina, ils s’installent en Provence où ils sont heureux avec leurs quatre enfants. En 1970, Dina et les quatre enfants meurent dans un incendie de forêt. Martin Gray décide de survivre une fois de plus et de se battre pour les autres. Il crée une association de prévention des incendies de forêts.

« À New York j’ai connu toutes ces drogues : argent, plaisirs, notoriété. Ces fausses monnaies, je les dénonce aujourd’hui. Je m’adresse spécialement aux jeunes car à l’école on apprend à devenir médecin, avocat, électricien. Mais apprend-on à vivre ? Dans les lycées ou les collèges, des centaines d’enfants viennent m’écouter. Malgré mon mauvais français, il y a un silence quasi religieux. Ils ont soif d’eau fraîche et non de breuvages frelatés.

- Vous pensez qu’en tout homme il y a des possibilités de bien ?

- Oui, l’homme possède en lui le mal et le bien ; il est toujours possible de faire émerger le bien ».

 

Jean Toulat nous présente ensuite SOS-Amitié ;

le père Jaouen et son bateau le Bel-Espoir qui redonne le goût de vivre aux jeunes drogués ;

différents mouvements pour aider les femmes enceintes ou favoriser l’adoption, notamment l’association Emmanuel, fondée par Jean et Lucette Alingrin, pour l’adoption d’enfants handicapés.

Les Villages d’enfants et les Petits frères des pauvres sont connus de tout le monde, je n’insiste pas.

Par contre j’ai envie de citer le message que Julos Beaucarne, chanteur belge incroyant, publia dans la presse le soir où sa femme fut assassinée par un fou :

http://biloulou.over-blog.com/article-24491851.html

 

Voici maintenant une réalisation peu connue et originale, une communauté de religieuses luthériennes, à Darmstadt en Allemagne : la communauté évangélique des sœurs de Marie, créée en 1945 par des jeunes filles qui décident de mener une vie de pénitence pour expier les crimes commis par leur pays. Les sœurs prient pour l’unité de l’Église et pour Israël. Elles ont adopté l’office bénédictin et fondé des communautés à divers endroits du monde.

« Ce qui frappe, c’est leur équilibre. Passionnées pour leur idéal, oui. Exaltées, nullement. Adonnées à la pénitence – la couronne d’épines est leur emblème – mais épanouies. L’Évangile à la lettre, mais sans être tendues. Une Foi totale, l’abandon au Père. (…) La communauté évangélique des sœurs de Marie ? Un jalon sur la route de l’unité ».

 

Le camp de concentration de Dachau, en Bavière, a été le cadre de dévouements et d’actes de courage merveilleux. Des médecins français soignent les malades pendant une épidémie de typhus, beaucoup en meurent, les prêtres donnent des conférences, prêchent le carême, donnent des cours aux séminaristes. Il y avait plus de 3000 prêtres à Dachau. Les prêtres allemands ont le droit de dire la messe à la chapelle, mais pas les autres : ils réussissent, avec une habileté inouïe, à dire des messes, à confesser et à donner la communion sans que les gardiens voient rien. Un séminariste très malade sera même ordonné prêtre avant de mourir : on réussir à se procurer les papiers et le matériel nécessaires, toujours sans que personne s’aperçoive de rien !

Sur l’emplacement du camp de Dachau, il y a maintenant un Carmel.

 

Quittons maintenant l’Europe. Jean Toulat nous emmène en Afrique, où beaucoup de gens se dévouent pour soigner les lépreux et les aveugles.

En Amérique du Sud, un prêtre colombien, Padre Salcedo, crée une école radiophonique pour ses paroissiens, des montagnards illettrés et dispersés.

Au Brésil, voici le célèbre archevêque de Recife, Dom Helder Câmara, l’évêque des pauvres.

« Le grand problème du siècle, dit-il à Jean Toulat, c’est la distance toujours plus grande entre le monde des riches et le monde des démunis. Une certaine aide existe de l’un à l’autre mais elle reste très faible. Ce n’est que le commencement du commencement ».

Et il cite le mot de saint Vincent de Paul :

« Il faut conquérir par l’amour le droit de donner ».

Partout il répercute la parole de Paul VI dans Populorum progressio :

« La terre a été donnée à tous et non seulement aux riches ».

Mgr Câmara aide les gens à se défendre contre les injustices, en utilisant l’action non-violente, car il croit à la révolution de l’amour.

 

Toujours au Brésil, voici un Français, Michel Candas, devenu Padre Miguel, prêtre dans une favela du Nordeste. Écoutons ce prêtre :

« Je suis en train de vivre les jours les plus durs et les plus merveilleux de ma vie. Je suis heureux, heureux. Et la raison profonde de cette allégresse est sans doute la pauvreté que nous essayons de vivre. Quand on n’a plus rien à soi, on se sent léger, libre, disponible à tout et à tous ».

L’une des joies de Michel, c’est de découvrir, à l’envers de la misère, des « richesses extraordinaires, des richesses de cœur prêtes à exploser. On est très « humain », bien plus accueillant qu’en France. Car c’est connu, ceux qui n’ont rien ont encore à donner aux autres. Il y a beaucoup de mendiants dans les rues : on ne passe presque jamais sans donner. Il n’est pas rare de trouver dans une même famille, à côté des enfants « légitimes »( ?), toute une bande d’autres enfants, ceux de la voisine qui est morte, les neveux, les abandonnés qu’on a recueillis, le petit orphelin inconnu, et il n’y a jamais aucune différence entre eux : ce sont tous « mes » enfants…Richesses spirituelles, surtout. Au milieu d’expressions souvent faussées du sentiment religieux, on rencontre une fraîcheur, une ouverture, une spontanéité, une simplicité en face de Dieu et du drame de l’existence capables de vous arracher des larmes…La « nature » si riche des gens constitue un terrain privilégié pour faire resplendir les merveilles de la « surnature » le jour où le Christ sera greffé sur le jeune sauvageon…Notre première tâche, cependant, n’est pas de remplir notre église, mais d’aider les gens à sortir de leur individualisme, de leur fatalisme, pour qu’ils forment des communautés naturelles et, ensemble, essaient d’émerger de la misère…La solidarité, le don de soi aux autres acheminent déjà vers le Seigneur… »

Il se constitue donc des associations d’habitants de quartier, des clubs de mères, des coopératives ouvrières, dont les animateurs sont les militants de l’Action catholique ouvrière ».

Padre Miguel constate que les gens ont faim de Dieu, mais qu’il n’y a pas assez de prêtres. Il passe deux jours par mois avec les lépreux. Il reste en lien avec sa paroisse d’origine en France qui soutient son action.

 

Le livre se termine par la plus illustre de ces figures de charité, Mère Teresa, « l’ange de Calcutta », « le bulldozer du Christ ».

« Vivant quotidiennement le mystère de l’Incarnation, elle dit : « Nous mettons nos mains, nos yeux, notre cœur à la disposition du Christ pour qu’il agisse à travers nous ».

Ces foules misérables, cela ne vous décourage pas ? lui demande-t-on. Elle répond :

« Je ne soigne jamais la foule, mais toujours une personne. Si les œuvres d’assistance sont collectives, l’amour est individuel. Chaque personne est pour moi unique au monde ».

« Je n’ai jamais demandé  d’argent », dit-elle. À un reporter américain qui la voyant panser une plaie gangrenée et nauséabonde, lui déclare : « Je ne voudrais pas faire ça pour un million de dollars », elle réplique : « Moi non plus ! »

 

Ce livre Les forces de l’amour date de 1980. Depuis, la solidarité a encore grandi, il est né une quantité d’associations et de mouvements au service des pauvres et des souffrants. Les forces de l’amour ne sont pas près de disparaître.