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Jean Rozière,

Poussés par la misère, l’épopée vécue par un groupe de familles de Lozère émigrées au cœur du Canada,

édité à compte d’auteur, 1993

 

En 1891, la famille Rosière-Vidal, du Malzieu-Ville (village de Haute-Lozère), émigra au Canada, précédée et suivie par d’autres familles du même village et des environs, poussées par un état voisin de la misère. Sol pauvre, méthodes d’exploitation archaïques, forte densité de population, la vie était difficile dans ces régions montagneuses.

 

Le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta constituent une vaste prairie de 1350 km de long. Le Manitoba, en 1870, venait d’entrer dans la confédération canadienne et recherchait des colons : les conditions proposées étaient très avantageuses : 10 à 20 $ les 65 hectares de terre fertile, et des subventions pour le voyage (aujourd’hui la Prairie compte 18 millions d’hectares de blé).

À la même époque on construisit à grand-peine le chemin de fer transcanadien : de Montréal à Vancouver il parcourt 4660 km en trois jours.

L’Église catholique fit aussi un appel à l’immigration. En 1885 Mgr Taché, archevêque de Saint-Boniface, écrivit aux évêques du Québec, de Belgique et de France, pour demander des prêtres et des familles.

« Je suis archevêque d’un diocèse dans lequel la France pourrait tenir plusieurs fois, mais dont la population – et surtout la population catholique – est très peu considérable. Mais ici il y a des facilités particulières d’établissement : le sol est riche, le climat est salubre malgré sa rigueur. Dans vos contrées, au contraire, les populations surabondent, mais le sol fait défaut. Ne pourrions-nous pas nous prêter un secours mutuel ? Vos pays donneraient des habitants et le nôtre leur fournirait une terre dont ils tireraient leur subsistance ».

 En réponse, 39 diocèses français fournirent 561 émigrants, dont 85 de Lozère et 81 d’Ille-et-Vilaine.

 

Ici apparaît le personnage principal de cette histoire. Le père Paul Benoît, un religieux jurassien, fit en 1890 un voyage d’exploration dans le sud du Manitoba, une région couverte de forêts magnifiques et un peu montagneuse, habitée jadis par des tribus indiennes.

L’année suivante, en 1891, accompagné de trois religieux de sa congrégation et d’un charpentier avec sa famille, il débarque à un endroit qu’il avait repéré à son premier voyage, à 120 km de Winnipeg.

Ils construisent aussitôt, en trois mois, une église en troncs d’arbres et un monastère. Étonné de la rapidité des travaux, l’archevêque officialisa aussitôt la fondation : le 15 août 1891 la paroisse Notre-Dame de Lourdes était née, dom Benoît étant curé. Quelques jours après, un incendie détruisit tout. Avec un grand courage et la générosité des paroissiens, nos religieux se remirent aussitôt à l’ouvrage.

Sur le territoire de la paroisse, il y avait déjà quelques colons mais ils ne firent qu’augmenter. En 1892 ND de Lourdes avait 370 habitants, 707 en 1900 (dont plus de la moitié venaient de France). Les familles lozériennes arrivèrent à partir de 1890.

 

Une fois la concession obtenue, le premier travail du pionnier était de se construire une cabane, après quoi il faisait venir sa femme et ses enfants. Le travail de défrichement était très pénible : abattre et découper à la hache ou à la scie des arbres souvent enchevêtrés, enlever les souches et les brûler, labourer une terre qui ne l’avait jamais été, le tout sous un soleil torride, avec la compagnie des moustiques.

Deux autres difficultés : pas de routes, seulement des chemins où les attelages s’embourbent, et d’autre part de nombreux feux de forêts impossibles à éteindre. De plus, les premières années les récoltes ne rapportaient pas encore beaucoup. On comprend que certains se soient découragés.

Heureusement la chasse, vu l’abondance du gibier, complétait la nourriture. Un orignal fournit 7 à 800 livres de bonne viande. La vente des fourrures leur procurait aussi quelque argent. Les hivers canadiens sont réputés pour leur rigueur, le froid peut aller jusqu’à – 40°, mais le climat est sain et l’hiver est l’occasion de faire des veillées sympathiques, comme au pays natal.

« Dom Benoît et les religieux ne se contentèrent pas de subvenir aux besoins spirituels des colons et de mettre tout en œuvre pour conserver la foi chrétienne apportée d’Europe ou du Québec, ils prirent également en charge leurs besoins matériels car dans ce domaine tout était à faire ».

Dom Benoît ouvrit d’abord une école (décembre 1891). À partir de 1893 l’école fut tenue par trois religieuses venues de Lyon.

Il n’y avait pas de route. Dom Benoît obtint des subsides de l’administration, et dès le premier hiver quelques routes furent ouvertes. Par la suite il y en eut d’autres.

Le chemin de fer passait à 4 km de ND de Lourdes. Dom Benoît obtint un tronçon pour relier le village à la gare.

Un service postal s’imposait, pour que les colons puissent communiquer avec leur famille lointaine. En mai 1892 un bureau de poste fut installé au couvent, où il resta jusqu’en 1909.

Un deuxième couvent fut construit car le nombre de religieuses augmentait, puis en 1909 une nouvelle école à cause de l’incendie de la première, ensuite une nouvelle église plus grande fut inaugurée en 1898.

 

Dom Benoît traversa deux crises. La première à propos d’une loi sur les écoles : le Manitoba décréta en 1890 que le gouvernement ne subventionnerait que les écoles publiques, laïques et anglophones. Dom Benoît, en 1898, accepta l’existence dans sa paroisse de cinq écoles nationales mais « jouissant d’une liberté entière pour le français et assez larges pour la religion ». Certains furent scandalisés qu’il accepte ce compromis.

Par contre la deuxième crise en 1909 fut plus grave : la congrégation à laquelle il appartenait ayant modifié sa règle, Dom Benoît refusa d’accepter la nouvelle règle et fut démis de ses fonctions de curé et de supérieur, et assigné à résidence dans une ville voisine. En 1910 il partit de sa chère paroisse, qu’il avait construite et dirigée pendant vingt ans.

Cet homme était doué d’un grand esprit d’initiative et d’une extraordinaire force de volonté. Dur envers lui-même, il était bon avec les autres. Tous ses travaux et ses soucis minèrent sa santé, et il mourut à 65 ans en France, en 1915. Il est enterré à Notre-Dame de Lourdes où une statue du fondateur fut édifiée en 1991, lors des fêtes du centenaire.

 

Le village de Notre-Dame de Lourdes progressa rapidement. Dès 1893 on vit apparaître des faucheuses et des moissonneuses-lieuses, et avant la fin du siècle il y avait au moins sept moissonneuses-batteuses, qui les premières années fonctionnaient parfois jusqu’à Noël.

« Cet investissement du matériel, réalisé au cours d’une même décennie par des hommes de la terre habitués à des méthodes et à des outils de travail datant d’avant la Révolution française, ne fut possible que grâce à une hausse notable et continue du prix du grain ». Une conséquence logique de cette hausse fut l’augmentation du prix des terres : 65 hectares qui valaient 10 à 20 $ en 1891, valaient 368 $ en 1895, 500 $ en 1900 et 1700 $ en 1910 !

Notre-Dame de Lourdes vit s’ouvrir des commerces, des ateliers d’artisans, des sociétés, il y eut même un notaire (de Moulins) et un médecin (de Reims).

 

De nos jours, Notre-Dame de Lourdes est un bourg agricole prospère de 620 habitants, « le bourg le plus francophone du Manitoba », pourvu d’écoles, d’établissements de santé et de retraite ; la vie culturelle, sportive, paroissiale est florissante.

 

Un événement a marqué la vie du bourg : en 1946-1947 une épidémie de poliomyélite sévit au Manitoba. Les habitants de Notre-Dame de Lourdes, parents et enfants, se montrèrent fidèles à la récitation du chapelet devant la statue de la Vierge Marie. Aucun enfant de Lourdes ne fut atteint par le fléau. En reconnaissance de la protection du Ciel, les Lourdais élevèrent une grotte en l’honneur de la Vierge, en 1954.

En 1982, une nouvelle église a remplacé celle de 1898.

En 1991 les Lourdais ont commémoré pendant une semaine le centenaire de leur fondation. Un livre de 700 pages, intitulé Un siècle d’histoire, écrit par Antoine Gaboriau, fut publié à cette occasion, ouvrage dont s’est beaucoup inspiré Jean Rozière pour écrire le livre dont nous parlons.

La même année fut élevé un monument à la mémoire de Jean-Pierre Pantel et Virginie Dalle (du Malzieu-Ville) par leur 464 descendants, et les presque 400 descendants d’Augustin Comte et Thérèse Martin (aussi du Malzieu-Ville) se rassemblèrent.

 

Jean Rozière donne ensuite, avec d’émouvantes photographies, la liste des familles lozériennes ayant encore des descendants à Notre-Dame de Lourdes : les familles Balez, Bouzerand, Bonnefoy, Bourrier, Comte, Hébrard, Julien, Magne, Pantel, Préjet, Reboul, Rozière, Tichit, Tranq, Vigier. La plupart venant de la Margeride.

 

Le livre se termine sur quelques pages plus générales sur le Canada : géographie, grands hommes, réalisations des missionnaires qui sont allés jusque chez les Esquimaux[1].



[1] Voir sur ce site « JBR et moi »