Pages feuilletées

 

 

 

Françoise Verny:  Dieu existe, je l’ai toujours trahi, éd Olivier Orban, 1992

 

 

Il y a les saints. Il y a les personnes converties subitement, dont toute la vie change définitivement. Il y a ces témoins qu’on admire de loin et qui ont bien de la chance de fréquenter Dieu. Et puis il y a les chrétiens ordinaires, qui cheminent à petits pas dans le noir, avec de petites lumières et de petites chutes. Et il y a Françoise Verny.

Françoise Verny a écrit en 1990 une autobiographie, Le plus beau métier du monde (il s’agit de l’édition : elle a travaillé chez Grasset, Gallimard, Flammarion).

En 1992 Françoise Verny a publié, chez Olivier Orban, un deuxième livre, au titre provocant : Dieu existe, je l’ai toujours trahi.

Elle y raconte aussi sa vie, mais cette fois sa vie intérieure. Le titre bien sûr est inspiré d’André Frossard.

« Ce titre marque la pauvreté d’une démarche sans cesse remise en cause par moi-même.»

« Je ne cesse de rencontrer Dieu pour le renier aussitôt. Je le questionne sans relâche et n’écoute pas sa réponse.»

Françoise Verny fait pendant 200 pages son examen de conscience : elle se trouve médiocre, agressive, infidèle, incapable de prier, intolérante, elle a honte de son indignité, elle parle même du « dégoût que [lui] inspire [sa] propre personne » mais elle ne s’y complaît pas.

Car elle est aussi une personne très intelligente, très énergique, très active et même très ambitieuse qui réussit une brillante carrière (à 63 ans, elle ne songe pas à la retraite), une forte personnalité. C’est aussi une grosse dame pas très belle, qui mange trop, qui boit du whisky, qui fume. Chaleureuse, douée d’une capacité d’écoute extraordinaire, c’est vraiment quelqu’un d’intéressant.

« Je m’impose par ma prestance autant que je séduis par mon intelligence.»

 

Françoise Delthil est née dans une famille bourgeoise, son père était « un intellectuel dans la grande tradition des médecins humanistes » (pédiatre, un homme très gentil), sa mère une brillante ophtalmologue apparentée au psychanalyste Jacques Lacan. Son père lui a appris à aimer les livres, de sa mère elle tient l’ambition, la passion de la carrière.

Pendant la guerre, son amie Nicole, juive, est déportée et meurt à 15 ans. C’est une blessure qu’elle n’oublie pas.

En classe de philo, en 1945, elle entre au Parti communiste, pleine d’espérance et rêvant de sauver le monde.

 

En même temps, des amis chrétiens lui font découvrir l’univers de la foi, qui la fascine. Mais Dieu ne lui fait pas de signe spectaculaire, elle « découvre le Christ peu à peu, par éclairs, pour l’oublier aussi vite.» Elle lit avec émerveillement l’évangile de Matthieu, va voir un prêtre avec qui elle n’arrive pas à s’entendre. Puis, en 1946, elle découvre un couvent dominicain à Paris, où elle rencontre le père Chenu qui va devenir son guide jusqu’à sa mort à 95 ans en 1990. L’esprit dominicain lui convient très bien.

« Je découvre le message évangélique dans sa simplicité et sa ferveur. Je découvre l’homme dont la chaleur va m’éclairer pendant 45 ans.»

Le père Chenu, célèbre théologien et historien, respecte la liberté de la jeune fille. Il n’essaie pas de la détourner du communisme, qu’elle quittera d’elle-même en 1953.

« Parfois je m’exaspère contre lui : pourquoi ne fustige-t-il pas mes trahisons ? Il me répond que ma colère témoigne en ma faveur, qu’elle marque mon horreur du péché. L’amour le comble : il préfère le risque de l’aveuglement à la sécheresse du cœur. Et par la sympathie qu’il me manifeste, il m’apprend à ne pas désespérer de moi-même.»

 

En 1955, à 26 ans, elle rencontre un jeune avocat, Charles Verny, héros de la Résistance, avec qui elle milite pour la libération de l’Algérie. Très vite ils se marient, ont un fils, mais ils divorcent peu après.

À la même époque elle devient journaliste, ce qui la passionne nettement plus que de préparer une thèse au CNRS, où elle n’est pas restée longtemps. Le travail en équipe lui plaît.

« Dès mon adolescence j’ai éprouvé une impression de creux, de vide. J’ai reconnu rapidement que je n’existais qu’au contact des autres.»

« Pour que mes lumières se révèlent, il leur faut un contact extérieur.»

Françoise Verny parle longuement de ses amis. Sa vie sentimentale ayant été un échec, l’amitié a pour elle une grande importance.

Bien sûr le père Chenu a une grande place dans sa vie :

« Il nous aimait tellement, Dieu et moi (j’ose accoler nos deux noms), qu’il parvenait toujours à reconnaître l’empreinte du Créateur sur la créature. »

Puis Julien Green, qu’elle a connu récemment quand il avait déjà 90 ans. Elle le voit souvent et l’écoute avec émerveillement pendant des heures.

« Julien Green m’a offert un moment de grâce : au contact des meilleurs, je me sens capable de devenir meilleure. Je reprends espoir en moi. Et je dois reprendre espoir en moi pour reprendre espoir en l’homme. »

Françoise Mallet-Joris est sa meilleure amie. Elles sont très différentes mais se fréquentent assidûment.

Elle rencontre beaucoup d’écrivains, bien sûr, dans son métier : Andrée Chédid, Marie-Madeleine Davy, Henry Troyat, BH Lévy etc.

 

Dans l’Église, Françoise Verny ne se sent pas à l’aise.

« L’Église ne m’offre ni famille ni réconfort. »

« Si l’Église catholique reste enfermée dans ses certitudes et ses structures, elle ne répondra pas aux aspirations de ce temps. »

« Cette Église, que je fréquente sans passion et considère avec méfiance, me donne cependant l’espérance : je ne sais pourquoi ni comment, moi dont la foi vacille sans cesse, je crois résolument à la communion des saints, au lien des hommes dans le temps et hors le temps. »

Après sa conversion en 1945, Françoise Verny s’est passionnée un temps pour Thomas d’Aquin mais finalement elle se sent plus mystique que philosophe, même si elle est une « mystique tiède » suivant son expression.

« Mes tourments appellent une réponse mystique. J’écris ce livre sans recourir aux philosophes et aux théologiens qui ne peuvent combler mon attente. Je ne me fonde que sur les textes de la Bible, les seuls aujourd’hui qui m’éclairent dans ma quête. Je me reproche de ne pas les méditer suffisamment, de ne pas en nourrir ma prière. Peu contemplative par inclination, je n’alimente pas ma foi, je me laisse aisément distraire. »

Dieu l’obsède depuis sa jeunesse, même si elle se reproche de l’oublier constamment.

« Oserai-je écrire Dieu existe en tête d’un ouvrage marqué par son absence, son absence en moi ? Témoigne pourtant de lui ma souffrance : il me manque, il me manque terriblement. »

Le mal, à son avis, prouve Dieu par l’absurde.

« Loin de me détourner de Dieu, le mal m’amène à lui. Je ne saurais lui reprocher le massacre des saints innocents, nous en sommes les auteurs. » 

 

 

En conclusion, Françoise Verny écrit :

« J’ai écrit ces confessions dans la fièvre, brûlant de les terminer pour en connaître le dénouement. Énigme policière : allais-je rencontrer ce Dieu qui me hante ? Je ne cherchais pas une certitude impossible, j’aspirais à la lumière. J’ai mené l’enquête honnêtement – sans masquer mes fautes ni mes défaillances -, cédant souvent au doute : sur la voie de l’ineffable, me suis-je laissé entraîner par les mots ? Ce livre avait-il un sens ? Pendant 63 ans, je suis restée dans le flou. Je passais pour croyante mais nul ne songeait à m’interroger, à exiger une explication. Situation confortable. En m’exprimant publiquement, je m’expose à la critique, et pire encore, je devrai répondre aux questions, à l’attente des autres…moi qui déteste aborder l’essentiel. (…) Je ne regrette cependant pas le chemin parcouru depuis un an : en me réveillant, je me suis condamnée à persévérer. Je n’ai rédigé que le début de mon histoire. Elle commence à peine et je m’en réjouis : j’aime les découvertes. »

 

Et le livre s’achève sur l’espérance. On espère aussi que cette femme courageuse et si humaine finira par rencontrer ce Dieu qui lui importe tant.

 

 

                                              

 

 

Françoise Verny (1928-2004) a écrit :

 

- Le plus beau métier du monde

 

- Mais si, Messieurs, les femmes ont une âme

 

- Dieu n’a pas fait la mort

 

- Pourquoi m’as-tu abandonnée ?