Pages feuilletées
Pensées de JMB Vianney, curé d’Ars,
présentées par l’abbé Nodet, éd DDB, 1989, 280 pages
Aujourd’hui, nous allons feuilleter un recueil de Pensées du Curé d’Ars, publiées en 1989 chez DDB, le genre de livre qu’on n’a pas envie de rendre quand on l’a emprunté.
Le curé d’Ars a dit que quand on a bien envie
d’une chose, le plus sûr moyen d’être agréable à Dieu c’est de lui en faire le
sacrifice. Moi j’ai bien envie de vous parler du curé d’Ars…mais je vais quand
même vous en parler !
Ce grand saint est très connu, mais mal
connu. On ne retient souvent de sa vie que quelques traits superficiels et
déformés. Ce recueil de pensées, tirées de ses sermons et des notes que les
auditeurs ont prises à ses catéchismes et à ses enseignements, est précédé de
quelques réflexions où l’auteur du recueil, l’abbé Nodet, rectifie les idées
fausses sur notre saint et donne une image de son caractère qui donne vraiment
envie de le fréquenter.
Je résume : Jean-Marie Vianney est né en
1786 dans une famille de paysans chrétiens, dans la région de Lyon. Entre les
persécutions révolutionnaires contre les chrétiens et les guerres de Napoléon –
où il aurait dû aller s’il ne s’était pas caché -, ses études au séminaire ont
pris beaucoup de retard et c’est seulement à 29 ans en 1815 qu’il a eu enfin la
joie de devenir prêtre.
On dit souvent qu’il n’était pas doué pour
les études, mais comment aurait-il pu comprendre des cours qui étaient faits en
latin, alors qu’il avait passé sa jeunesse à travailler aux champs au lieu
d’aller à l’école ? Le plus étonnant c’est qu’il y ait réussi tout de
même.
Heureusement ses maîtres ont bien vu qu’il
ferait un bon prêtre, et c’est ainsi qu’en 1818 il est arrivé à Ars, petit
village des environs de Lyon - pas plus chrétien qu’un autre, pas moins non
plus - qu’il évangélisa sans relâche jusqu’à sa mort 41 ans plus tard, en 1859.
On a dit aussi qu’il n’était pas éloquent,
parce qu’il parlait avec son cœur, au lieu de faire de belles phrases à la
mode : ainsi un jour son sermon n’a consisté qu’à montrer le tabernacle et
à dire pendant un quart d’heure en pleurant de joie : « Il est
là ! Il est là ! ». Ce n’est peut-être pas de l’éloquence,
mais au niveau de l’efficacité c’est sûrement mieux.
À ce régime-là, au bout de quelques années,
les habitants d’Ars, qui étaient au départ aussi tièdes et aussi épais que ceux
d’ailleurs, ne passaient plus devant l’église sans entrer pour saluer le Saint
Sacrement, en laissant cinq minutes leur charrette à bœufs devant la porte.
Pour obéir à leur berger, ils avaient aussi renoncé aux jurons, à la danse, au
travail du dimanche.
À la fin de sa vie, on ne comprenait même
plus ce qu’il disait car il n’avait plus de dents (à mesure qu’elles tombaient,
il les vendait à des amateurs de reliques, pour nourrir les pauvres. Il avait
du sens pratique), mais les gens se pressaient quand même en foule pour
l’écouter, car même sans comprendre les mots, on comprenait bien qu’il parlait
de l’amour de Dieu.
Car toute sa vie, le curé d’Ars n’a parlé que
de l’amour de Dieu.
« Je pense souvent que, quand même il n’y aurait point d’autre vie, ce serait un assez grand bonheur d’aimer Dieu dans celle-ci, de le servir et de pouvoir faire quelque chose pour sa gloire ».
« Celui qui communie se
perd en Dieu comme une goutte d’eau dans l’océan ».
« Quand on pense à
l’ingratitude de l’homme envers Dieu, on est tenté de s’en aller de l’autre
côté des mers pour ne pas la voir. C’est effrayant ! Encore si le Bon Dieu
n’était pas si bon ! Mais il est si bon ! »
« L’âme ne peut se
nourrir que de Dieu ! Il n’y a que Dieu qui lui suffise ! Il n’y a
que Dieu qui puisse la remplir ! Il n’y a que Dieu qui puisse rassasier sa
faim ».
« N’est-ce pas une
vraie folie que de pouvoir goûter dès cette vie des jours du ciel, en
s’unissant à Dieu par l’amour ? »
Et cette phrase merveilleuse :
« Si nous savions comme Notre-Seigneur nous aime, nous en mourrions de plaisir ».
Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars, a la réputation d’un homme austère et même morbide, passant son temps à manger des pommes de terre moisies, à parler de l’enfer et à se battre avec le diable.
En réalité, je trouve qu’il parle bien souvent de plaisir et de bonheur : cette idée que si on réalisait à quel point Dieu nous aime on mourrait de plaisir ! Et puis :
« Ce qui fait que nous
n’aimons pas Dieu, c’est que nous ne sommes pas arrivés à ce degré où tout ce
qui coûte fait plaisir ». Ou bien :
« Souffrir avec le Bon Dieu ce n’est pas souffrir, c’est être comme couché sur un lit de roses ».
« Au ciel nous serons heureux du bonheur de Dieu et beaux de la beauté de Dieu-même ».
Évidemment il ne mettait pas son plaisir et son bonheur dans les choses de la terre. Vu de l’extérieur ça peut paraître morbide mais le fait est qu’il était heureux, au milieu de ses souffrances et épreuves diverses : calomnies (de la part des jaloux), incompréhension de la part de la hiérarchie (l’école de la Providence qu’il avait créée lui fut enlevée et donnée à des sœurs), problèmes de santé (mais il les négligeait), attaques du diable (on en a beaucoup parlé, mais il y avait quand même du vrai), énorme fatigue due au surmenage avec des horaires impossibles, et aussi, beaucoup, tentation du désespoir en voyant sa faiblesse opposée à l’énormité de ses responsabilités (être responsable de l’âme des autres, ça lui paraissait écrasant. Plusieurs fois il a voulu fuir sa paroisse, mais il est toujours resté), manque d’argent, il a vraiment eu des épreuves de toute sorte.
« Non ! Il n’y a rien au monde de plus malheureux qu’un prêtre. À quoi se passe sa vie ? À voir le Bon Dieu offensé. Le prêtre ne voit que cela ».
Quand on pense que pendant des années il passait jusqu’à 17 ou 18 heures par jour (en été), un peu moins en hiver, enfermé dans un confessionnal à écouter le récit de tout ce qu’il y a de plus moche dans la nature humaine, c’est sûr qu’il a dû beaucoup souffrir, lui qui n’aimait que Dieu et n’a quasiment jamais péché de sa vie (au moins à vue humaine).
Quant aux persécutions, aux calomnies et aux
insultes des jaloux, il n’y accordait aucune importance, pas plus d’ailleurs
qu’aux compliments et au « culte de la personnalité » dont il était
l’objet dans toute la fin de sa vie. Et heureusement que ni l’une ni l’autre
chose ne l’ébranlait, car il avait bien besoin de tout son équilibre pour
résister à un emploi du temps aussi exigeant. Et justement Jean-Marie Vianney
apparaît comme quelqu’un de très équilibré, plein de bon sens et grand
connaisseur de l’âme humaine.
« Dieu nous a commandé le travail mais il nous a ordonné aussi le repos. Il nous commande la prière mais il défend l’inquiétude ».
Quand on lui reprochait ses pénitences excessives il disait par exemple :
« On exagère ! Le
plus que j’ai fait c’est de passer huit jours avec trois repas ».
C’est vrai que ça ne fait pas beaucoup, mais
c’est vrai aussi qu’on mange presque toujours trop et qu’on aurait l’esprit
plus clair en mangeant moins. D’ailleurs de nos jours la diététique s’accorde
avec la spiritualité sur ce sujet, et beaucoup de gens se trouvent bien, tant
physiquement que spirituellement, d’une journée de jeûne de temps en temps.
La privation de sommeil est beaucoup plus
dure à supporter. Il dormait deux ou trois heures par nuit et il aurait aimé
dormir un peu plus, mais entre son emploi du temps et les exigences de la
pénitence[1],
c’était impossible.
« Si je pouvais dormir une heure, je galoperais comme un jeune cheval ».
Mais après tout, il a supporté ce régime pendant des années, il a réussi à abattre un travail énorme et à vivre jusqu’à l’âge de 65 ans, ce qui n’est pas si mal !
J’en conclus qu’il avait une santé de fer,
les nerfs solides, et une force de caractère exceptionnelle, en plus de son
amour pour Dieu qui l’a nourri et soutenu.
Il avait un naturel vif, malicieux, il aurait
pu être ironique et mordant s’il ne s’était pas maîtrisé sur ce point. On cite
l’exemple très amusant de ce voltairien qui lui disait :
« Monsieur le curé, on dit que vous voyez le diable ? »
et à qui il répondit, en le regardant dans les yeux :
« Oui, Monsieur, je le
vois ! »
Mais ces exemples sont très rares et il était à peu près toujours d’une patience illimitée avec tout le monde. Même les pires casse-pieds n’arrivaient pas à le faire sortir d’une patience qui lui coûtait pourtant beaucoup plus que de se priver de confort ou de nourriture.
C’était un homme actif et combatif :
« Ceux qui n’ont ni combat ni peine à soutenir en ce monde sont comme des eaux mortes qui croupissent. Mais ceux qui endurent leurs peines, les souffrances, les combats, ressemblent à des eaux rapides qui sont plus limpides quand elles passent par des rochers et tombent en cascade ».
« Les tentations les
plus ordinaires sont l’orgueil et l’impureté. Un des moyens par lesquels on
résiste le mieux est une vie active pour la gloire de Dieu. Bien des gens se
livrent à la mollesse et à l’oisiveté. Dès lors il n’est pas étonnant que le
démon leur ait le pied dessus ».
Les tentations lui paraissaient bon signe : c’est qu’on est en bon chemin et ça prouve que notre âme a de l’importance puisque le diable fait tant d’efforts pour la conquérir. Mais il pense qu’on peut toujours le vaincre :
« Le moyen de renverser le démon quand il nous suscite des pensées de haine contre ceux qui nous font du mal, c’est de prier aussitôt pour leur conversion ».
« L’âme sous l’action
de la grâce ressemble à ces oiseaux qui ne font qu’effleurer la terre et qui
planent constamment dans les airs, tandis que l’âme en état de péché ressemble
à ces oiseaux domestiques qui ne peuvent quitter la terre et sont constamment
attachés à elle ».
Il ne tolère pas la médiocrité :
« De deux choses l’une, ou un chrétien domine ses penchants, ou ses penchants le dominent. Il n’y a pas de milieu ».
Ça paraît dur, ça paraît impossible. Mais nous sommes obligés de constater que le curé d’Ars a réussi cet équilibre parce qu’il possédait ce que le monde moderne cherche vainement et désespérément de tous côtés : la paix intérieure. St Sérafim de Sarov (un saint russe qui vivait à la même époque et qui lui ressemble beaucoup) a dit :
« Acquiers la paix de l’âme, et des hommes par milliers trouveront auprès de toi le salut ».
C’est exactement ce qui s’est passé à Ars où des foules énormes se précipitaient, et d’ailleurs se précipitent encore, pour recevoir du saint une parole libératrice, car il lisait dans les âmes sans même s’en rendre compte, sans parler bien sûr de sa finesse naturelle et de sa vaste expérience des pécheurs.
Ars au 19ème siècle était
d’ailleurs si connu qu’un habitant de Lyon a paraît-il reçu un jour une lettre
de l’étranger où l’adresse était libellée ainsi : « Lyon, près
d’Ars » !
Encore des citations :
« Quelle consolation de pouvoir prier le Bon Dieu ! Sans cela la vie ne serait pas supportable »
« Quand on n’a pas de consolations, on sert Dieu pour Dieu, mais quand on en a on est exposé à le servir pour soi »
« Si nous n’aimions pas
le cœur de Jésus, qui aimerions-nous donc ? »
« Nous le
verrons ! nous le verrons ! ô mes frères, y avez-vous jamais
pensé ? Nous verrons Dieu ! nous le verrons tout de bon ! nous
le verrons tel qu’il est, face à face ! nous le verrons etc. »
« Il faut travailler en
ce monde, il faut combattre. On aura bien le temps de se reposer toute
l’éternité »
« Je n’ai d’autre
ressource contre cette tentation du désespoir que de me jeter au pied du
tabernacle, comme le petit chien aux pieds de son maître »
« Il faut d’abord
mettre ordre à votre conscience. Vous mettrez ensuite plus facilement ordre à
vos affaires »
« Il est tout à fait
impossible d’aimer Dieu et de lui plaire sans être nourri de cette parole
divine »
« Ne dites pas que vous
n’en êtes pas digne. C’est vrai, vous n’en êtes pas digne, mais vous en avez
besoin »
« Lorsque le démon veut
perdre une personne, il commence par lui inspirer un grand dégoût pour la
prière. »
On dit quelquefois que la spiritualité du curé d’Ars
est démodée. J’ai plutôt l’impression qu’on est en plein dedans. Jamais les
humains n’ont tant cherché le bonheur et la sagesse. On cherche dans le
compliqué, dans le lointain, et on ne trouve pas grand chose. Et le curé d’Ars
nous dit :
« Mon secret est bien simple, c’est de tout donner et de ne rien garder ».
Et après tout, si on essayait ?