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Légende dorée de mes filleuls,

Daniel-Rops, éd du vieux colombier, 1950

 

Aujourd’hui, un livre pour les enfants. Quand j’avais huit ans, c’était un de mes livres préférés.

Savez-vous ce qu’on désignait, au Moyen Âge, de ce beau titre de « Légende dorée » ? Un gros, un énorme livre où un savant prélat avait rassemblé tout ce qu’il avait pu trouver d’intéressant, de curieux, parfois d’amusant et toujours d’instructif, sur les Saints et les Martyrs de l’Église. Dans les châteaux, dans les monastères, aussi bien que chez les bourgeois des villes, partout on lisait la « Légende dorée » et nulle part on n’en était jamais lassé. Comme c’était bel et bon d’écouter le récit des miracles faits par le Tout-Puissant pour aider les Saints dans leurs œuvres ! Comme c’était enthousiasmant de connaître les prouesses des martyrs, leur intrépidité devant les pires supplices ! Et comme c’était égayant d’entendre raconter les mille tours que le Démon fait aux hommes et d’apprendre, pour finir, que le Bon Dieu a toujours la victoire, que Satan est toujours bafoué et vaincu !

 L’auteur explique l’origine de ces récits : les premiers chrétiens se sont transmis leurs souvenirs. Les martyrs héroïques des premiers siècles ont impressionné leurs contemporains, et leurs exploits ont été transmis. Tout cela au fil du temps a bien été plus ou moins transformé et embelli, la réalité et la légende se mélangent. Mais toujours vous y trouverez de très hautes leçons chrétiennes, de foi, d’espérance et de charité, un amour de Dieu et du Christ admirable, l’exemple des plus hautes vertus. C’est d’ailleurs, exactement, ce que veut dire le titre : légende dorée, légende étincelante, lumineuse, pleine de figures qui nous éclairent, toutes resplendissantes de la Gloire du Paradis .

Le livre présente une vingtaine de vies de saints de toutes les époques, mais qui ont un point commun : ils sont morts très jeunes ou même enfants, ou bien ils ont présenté dès l’enfance des vertus exceptionnelles.

 

En premier l’histoire, imaginaire mais vraisemblable, de st Martial, petit garçon de Tibériade que Jésus embrasse un jour, qui devient son ami et ira plus tard évangéliser la Gaule, à Limoges dont il est devenu le saint patron. Qui sait ? Ce que racontaient les bons poètes, peut-être était-ce la vérité ? 

 

Deuxième histoire, « Un garçon s’enfuit dans la nuit » : c’est l’histoire de st Marc, l’évangéliste. Les Actes des apôtres mentionnent ce compagnon de st Paul et on pense que la Cène eut peut-être lieu dans la maison de sa mère. D’après la tradition, il suivit Jésus au jardin des oliviers vêtu d’un drap, et quand les soldats voulurent l’arrêter avec Jésus, il leur laissa le drap et s’enfuit. Daniel-Rops nous présente ce jeune garçon passionné pour Jésus, assistant de loin à tout le procès, au reniement de Pierre, à la mort de Jésus, puis il voit Jésus ressuscité et reçoit le Saint Esprit à la Pentecôte, avec les autres disciples. Et Marc décide de consacrer sa vie à annoncer la Bonne Nouvelle. Il écrira plus tard l’Évangile et mourra martyr à Alexandrie en Égypte.

 

Autre chapitre, la jeunesse de st Paul : le jeune Saül, élève de Rabbi Gamaliel, le plus célèbre professeur de l’époque, assiste à la lapidation du premier martyr chrétien, Étienne, et se pose beaucoup de questions, jusqu’à sa célèbre conversion sur le chemin de Damas.

 

Vient ensuite un des plus charmants portraits de ce livre, celui de sainte Agnès. Les persécutions contre les chrétiens, à Rome, faisaient rage, et de nombreux enfants et adolescents donnaient leur vie avec courage pour le Seigneur. Sainte Agnès est une de ces petites martyres enfants dont on aime à répéter la ravissante histoire. Elle avait treize ans. Elle était merveilleusement jolie, et même plus que jolie ; car la flamme douce de ses yeux, la perfection de son visage, l’élégance naturelle de son corps se complétaient d’un charme angélique, d’une transparence d’âme qui la rendaient unique parmi toutes ses compagnes. C’est une jeune fille de bonne famille, très pieuse. Le fils du gouverneur de Rome la demande en mariage, et son refus, suivi de diverses péripéties, provoque son arrestation comme chrétienne. On la met dans un mauvais lieu : un lion apparaît à ses côtés pour la défendre. On la met sur un bûcher, mais les flammes se rabattent sur les spectateurs et refusent de la brûler. Finalement on lui coupe la tête. Contagion de l’exemple : son amie Émérentienne, qui n’était pas encore baptisée, se déclare publiquement chrétienne, et voilà une martyre et sainte de plus. Daniel-Rops rappelle à ce propos la fameuse phrase de Tertullien : Le sang des martyrs est la semence des chrétiens. Le culte de sainte Agnès s’est développé très tôt, et son histoire a été racontée au siècle suivant par st Ambroise, archevêque de Milan, qui prenait l’exemple de ste Agnès pour montrer combien la pureté est une belle chose.

 

Le chapitre suivant décrit les persécutions de l’année 177 à Lyon, les tortures que subissent héroïquement les chrétiens, le petit nombre de ceux qui ont peur et renient leur foi, et nous voyons apparaître  la plus pure figure de cette persécution lyonnaise, une petite esclave d’une quinzaine d’années à peine, Blandine, dont l’héroïsme fit pleurer les païens eux-mêmes et qui fut livrée aux bêtes fauves dans l’arène.

 

Le temps passe. Le christianisme devient religion officielle mais les chrétiens peuvent exercer leur courage en partant évangéliser les pays barbares. C’est ainsi qu’une caravane de missionnaires, vers l’année 335, part pour l’Éthiopie, jadis évangélisée par st Matthieu mais où tout était à refaire. Les 40 missionnaires sont massacrés par des pillards, et seuls survivent deux jeunes adolescents, Frumence et Édèse, qui sont faits prisonniers et amenés à la cour du Négus où ils deviennent des sortes de pages (la reine parle grec et les protège). Ils servent de précepteurs aux enfants du roi, ils les convertissent, et c’est ainsi que st Frumence fut le premier évêque d’Éthiopie.

 

Revenons en France, ou plutôt en Gaule, du côté de Nanterre qui à l’époque était un village. L’empire romain est mort, les Germains sont partout, nous sommes en 432. Deux évêques, st Loup de Troyes et st Germain d’Auxerre, vêtus de bleu ciel, rencontrent une jeune bergère (Geneviève, 12 ans) qui garde ses moutons dans un pré. Le Saint-Esprit leur fait comprendre que cette fillette doit jouer un rôle important, dans l’église de Nanterre ils prophétisent qu’elle sera bergère de toute la Gaule. Geneviève devient religieuse, puis abbesse de son monastère. Quelques années plus tard (449), Attila et les Huns arrivent en vue de Lutèce. Les Parisiens, terrifiés, appellent Geneviève au secours. Tout le monde prie, et les Huns font demi-tour. Geneviève, plus tard, conseillera Clovis, guidera et sauvera son troupeau pendant de longues années et mourra très âgée.

 

Le chapitre « Le mousse des mers du nord » raconte l’évangélisation de l’Islande au 6ème siècle. Un enfant (le futur st Edwin) sauvé d’un naufrage par des moines bretons les emmènera plus tard jusque dans son île lointaine. Les Bretons rencontrent en route des baleines, des icebergs, des phoques, des volcans, toutes choses totalement inconnues des Européens à cette époque. Il faut vraiment du courage et de la foi pour aller porter l’évangile dans des endroits si effrayants. Mais Jésus a dit d’aller partout, il faut donc aller partout.

 

Le 8ème siècle nous transporte en Alsace, où une petite fille aveugle, abandonnée par son père le duc Adalric, grandit dans un monastère. Au baptême elle recouvre la vue, on la nomme Odile, et après des retrouvailles agitées avec son père, elle devient religieuse et abbesse de l’abbaye qui existe toujours sur le mont Sainte-Odile.

 

Nous arrivons à l’époque des Croisades, voici un saint peu connu : Baudouin de Jérusalem, devenu roi à l’âge de 13 ans, et lépreux.

Contre un roi enfant et lépreux, les Sarrasins s’imaginent gagner facilement la guerre, mais il se défend vaillamment. La maladie empire lentement mais sûrement. À 19 ans il devient aveugle, il souffre énormément mais continue à diriger son royaume et à prier.

Personne ne l’approchait sans être bouleversé par sa grandeur d’âme. Un écrivain musulman lui-même, qui l’avait aperçu, en parlait dans son livre avec émotion et admiration. À 24 ans, il va à la guerre porté dans une litière, et il bat encore Saladin. À 25 ans il meurt, en 1185, on l’enterre au sommet du Golgotha, et trois ans après Saladin prend Jérusalem et la terre Sainte est perdue pour les chrétiens.

 

Un autre roi : en 1226 le jeune Louis a 12 ans et devient roi sous le nom de Louis IX. Il est armé chevalier et sacré roi.

Sa mère Blanche de Castille l’élève avec fermeté. C’est un parfait chevalier, aussi doué pour les études que pour le sport, très pieux, plein de charme et de gentillesse. St Louis fut dès l‘enfance un roi très aimé de son peuple.

 

Voici maintenant un saint qui n’a apparemment rien d’extraordinaire : Yves, le patron des avocats. Pourquoi un saint avocat ? Dans son enfance, Yves entendait son grand-père raconter que pendant qu’il était aux Croisades, un voisin malhonnête s’était arrangé pour dépouiller sa femme de tous ses biens. Ledit grand-père n’avait pas pris la peine de consulter un avocat : quand au retour des Croisades il avait rencontré sa femme mendiant sur les chemins, il avait simplement fendu le crâne du méchant et récupéré son château ! Yves passera donc sa vie à défendre les pauvres et les faibles, on le consultait de partout, sa justice et sa science étaient célèbres et sa charité inépuisable. On raconte malicieusement qu’arrivé à la porte du Paradis, après une vie si bien remplie, saint Yves en trouva le seuil fort encombré. Il y avait là tout un couvent de religieuses, mortes ensemble dans je ne sais quel accident. Et saint Pierre, secouant ses clefs, leur disait : « Qu’étiez-vous sur la terre, vous toutes ?- Très saint Pierre, répondit la plus jeune, nous étions bonnes sœurs et passions notre temps en prières. – Des bonnes sœurs, des bonnes sœurs, murmurait le gardien du Paradis en se caressant la barbe, j’en ai déjà beaucoup ici. Elles sont toutes parfaites ou se disent telles ! Je ne sais vraiment plus où les loger ! » Et se tournant vers le jeune homme vêtu d’une robe noire, coiffé d’une toque carrée qui attendait, humblement, dans un coin : « Et toi ? Qu’étais-tu sur terre ? – Moi…oh, pas grand-chose. J’ai passé ma vie à discuter dans maints procès et chicanes, j’ai beaucoup parlé, j’ai essayé de sauver des innocents et de démasquer des imposteurs. – Ne serais-tu point avocat ? s’écria alors saint Pierre. – Si, confessa Yves, encore plus humble. – Ah, s’écria alors le saint portier tout en joie, entre vite. Car dans ma collection de saints que je fais pour le Seigneur, je n’avais jamais pu mettre un de tes pareils. Tu seras le premier saint avocat ! »

 

Vient ensuite une petite sainte inconnue en France, Imalda, qui devint religieuse dominicaine à 9 ans, à Bologne en Italie, et mourut de joie en 1333, vers l’âge de 12 ans, en faisant sa première communion.

 

Nous voyons ensuite l’énergique petite Jeanne d’Arc, que tout le monde connaît, puis Louis de Gonzague, un noble Italien du 16ème siècle, consacré à Marie à sa naissance. Dès qu’il a su marcher, il allait vers la statue de la Sainte Vierge, quand il a su parler il disait surtout « Jésus », « Marie », enfin un enfant très pieux. Il y a sur lui une anecdote célèbre : un jour qu’il jouait à la balle au chasseur avec ses camarades, son aumônier lui dit : « Si on venait vous dire que la fin du monde aura lieu dans un instant et que vous allez paraître devant Dieu et être jugé pour l’éternité, que feriez-vous ? » Louis sans se démonter répondit calmement : « Eh bien, je continuerais à jouer à la balle au chasseur ».

Donc un enfant qui n’a pas peur de Dieu, qui a confiance en lui. Ce saint enfant devint si célèbre que st Charles Borromée, archevêque de Milan, voulut le rencontrer et lui accorda une dispense d’âge pour faire sa première communion. Louis devint ensuite jésuite et mourut à 23 ans en soignant des pestiférés.

 

Ste Germaine de Pibrac est moins connue. C’était, à la fin du 16ème siècle, une pauvre petite infirme, maltraitée par une mégère, dans un village de Gascogne. Une vieille servante a pitié d’elle et lui apprend à prier. La pauvre petite martyre ne se plaint jamais. On l’envoie garder les moutons dans des endroits déserts mais jamais un loup ne les attaque, et on dit que lorsqu’elle traverse la rivière pour aller à l’église, l’eau s’écarte toute seule et elle traverse à pied sec. Un jour un miracle spectaculaire oblige l’horrible belle-sœur à changer de comportement mais Germaine veut continuer son humble vie de bergère. Sa réputation de sainteté grandit, on l’appelle la violette de Pibrac. Elle mourut encore très jeune, vers 22 ans, dans sa soupente sous l’escalier, et quelqu’un dit : Elle a vécu comme une sainte et elle est morte dans la paix du Seigneur.

 

Le chapitre suivant raconte sous forme romancée les persécutions révolutionnaires contre les prêtres et nous voyons deux enfants chrétiens qui cachent une boîte d’hosties confiée par un prêtre avant son arrestation.

Puis bien sûr Bernadette, vous connaissez l’histoire.

Une histoire moins connue, celle des martyrs de l’Ouganda. Ce pays a été évangélisé par les Pères Blancs à la fin du 19ème siècle, le nombre de chrétiens a augmenté rapidement, surtout parmi les jeunes pages du roi, les fils de bonne famille éduqués au palais royal. Mais voilà que le roi Mouanga, influencé par son premier ministre qui déteste les chrétiens, décrète un jour de rendre l’islam obligatoire dans son royaume. Finalement tous les pages, plusieurs dizaines de jeunes chrétiens, furent brûlés vifs, ils moururent en chantant des cantiques.

 

C’est très spécialement que le Christ appelle à lui les enfants. L’enfance, c’est l’âge de la générosité. Bien sûr, on a déjà ses défauts, ses faiblesses, et on connaît fort bien ses propres péchés. Mais on n’a pas encore ses responsabilités d’homme ou de femme adulte ; on peut plus facilement se donner librement à une grande cause, à un grand modèle. Le Christ, en vous appelant, vous demande d’être semblable à lui, c’est-à-dire de développer en vous ce que vous savez bien y être le meilleur : la bonté, le courage, l’application à la tâche, la charité envers les autres, la foi et l’espérance en Dieu. Et n’est-ce pas vrai que c’est dans les moments où vous faites effort sur vous-mêmes pour vous rapprocher de Lui, l’unique modèle, que vous vous sentez le plus heureux ?

(…) Et vous qui me lisez, mes amis inconnus aussi bien que mes filleuls, au moment de vous quitter en achevant cette page, voulez-vous que je vous donne un très simple conseil ? Demeurez toujours fidèles à votre jeunesse, c’est-à-dire à tout ce que vous sentez en vous de généreux et de courageux, à tout ce qui exalte en votre âme ce que vous y connaissez de meilleur : à ce prix s’achète le vrai bonheur sur la terre, - et le Royaume qui vous a été promis.