Nicolas Pigasse, Croient-ils tous au même Dieu ? Ed Filipacchi, 240 pages

 

 

                         

 

 

En flânant l’autre jour sur mon terrain de chasse, la bibliothèque municipale, je suis tombée en arrêt devant un drôle de titre : Croient-ils tous au même Dieu ? Curieuse comme je suis, je l’ai lu, et voilà : il est passionnant.

Il s’agit d’une enquête sur les prêtres. L’auteur, Nicolas Pigasse, un jeune journaliste, a interviewé 21 prêtres de tous âges, régions ou tendances.

Dans la préface, l’abbé Pierre, toujours aussi diplomate mais c’est pour ça qu’on l’aime, commence par critiquer le titre du livre, Croient-ils tous au même Dieu, comme s’il y en avait plusieurs !

« Je pense qu’il faut veiller à ne jamais recourir à des expressions qui relativisent l’Éternel ».

Il n’aime pas le titre, mais il apprécie le livre. Il estime que la diversité de tous ces prêtres est une grande richesse et que le dialogue n’est pas impossible entre eux comme le craint l’auteur. L’abbé Pierre tient ensuite des propos magnifiques sur l’avenir de l’Église qu’il compare à un gland qui devient un chêne, c’est-à-dire un être vivant en évolution.

Passons à l’introduction, où Nicolas Pigasse écrit :

« Un livre sur les prêtres en 1991 ? Mais il faut être fou pour enquêter pendant un an sur ce sujet qui a priori n’est guère porteur ! C’est bien connu : nos bons vieux curés, en voie de disparition, n’intéressent plus personne. Quant à leur vie, il n’y a certainement pas matière à fouetter un chat. Laissons-les vivre en paix leurs dernières illusions, cloîtrés dans des presbytères en ruines.

Erreur ! Le religieux fait un retour en force et, sans prendre trop de risques, il est possible de répondre à l’interrogation de Malraux : le 21ème siècle sera spirituel ».

« Le prêtre de demain ne sera pas le même que celui d’aujourd’hui. Une page passionnante, sans doute l’une des plus riches de son histoire, est en train de s’écrire. Fini le curé à papa, le notable donneur de leçon, coupé du monde, garant d’une morale, d’un mode de vie. Le visage du prêtre du 3ème millénaire sera beaucoup plus humain. Le prêtre descendra de son piédestal, ne sera plus de ce fait un être à part ».

« Cette évolution ne se fait pas sans grincements de dents. L’Eglise, on l’ignore trop souvent, ressemble à un véritable échiquier politique. Elle compte en son sein une multitude de courants très actifs, et souvent même virulents ».

« Journaliste, j’ai découvert au fil de mes enquêtes des prêtres aux visages variés et différents de l’image classique que je me faisais d’eux. Les curés, pensais-je, formaient une corporation homogène et solidaire. Naïf que j’étais ! »

 

Et l’auteur évoque les réticences de certains de ses interviewés à figurer dans le livre en compagnie de tel ou tel autre. Le charismatique ne voulait pas se trouver en compagnie d’un homosexuel, lequel refusait de côtoyer un intégriste. Quelques pieux mensonges de l’auteur ont réglé le problème.

Le panorama de l’Église française est assez complet. Dans ce livre nous voyons des prêtres de tous les coins de France, des Parisiens, des Normands, des gens du Nord et d’ailleurs.

« La grande majorité d’entre eux sont prêtres diocésains. Tous les courants de l’Eglise catholique française sont équitablement représentés, sans aucun parti pris de ma part. Des curés de campagne traditionnels aux prêtres urbains, en passant par les jésuites, les prêtres-ouvriers, « immigrés », la Mission de France, les charismatiques, et le témoignage de deux séminaristes : l’éventail proposé est large. Cette diversité de ministères fait la richesse de l’Eglise catholique ».

Je ne peux pas les citer tous, bien sûr : je vais en évoquer quelques-uns.

 

Le premier prêtre interviewé, le père Marguerie, est un curé normand de 63 ans. D’un milieu modeste, à 14 ans il a lu un roman où figurait un prêtre, sa vocation lui est venue de là. La société à l’époque était favorable à ce genre de vocation. Il a été professeur pendant longtemps puis il a atterri dans ce village. Il pense avec tristesse qu’il n’aura certainement pas de successeur.

« Je reconnais qu’ayant connu une population entièrement chrétienne, j’éprouve aujourd’hui un petit pincement au cœur. J’en souffre un peu mais ma foi en Jésus-Christ et en l’Eglise est toujours la même ».

Le père Marguerie s’interroge sur la baisse de la pratique religieuse. Il pense qu’il ne faut pas accuser le clergé de tous les maux, et que « les baptisés ont aussi leur part de responsabilité dans la crise actuelle ». Mais il reconnaît que l’Église a « parfois une certaine maladresse quand elle aborde les problèmes d’éthique » : le pape, par exemple, pourrait montrer le côté positif de la morale plutôt que le côté négatif avec des interdictions.

Quant à la relève des prêtres, il pense que la société maintenant n’est guère favorable.

« Moi je n’entends jamais à la télévision : ‘Vive le célibat, mes frères !’ »

Ce prêtre est équilibré et heureux de vivre. Le célibat ne le gêne pas et lui paraît une richesse pour l’Église.

« Je suis un prêtre heureux et libre et à aucun moment je n’ai douté de ma vocation. Si c’était à refaire, je le referais ».

 

Dans un genre différent, nous voyons l’abbé Laguérie, 38 ans, curé traditionaliste de l’église St-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris, fréquentée par plus de 18000 fidèles.

« C’est le seul prêtre qui ne m’ait pas serré la main, ni à mon arrivée ni à mon départ. Le regard de l’abbé Laguérie est dédaigneux, et on sent un certain mépris chez cet homme ».

C’est lui aussi à 14 ans qu’il a décidé de devenir prêtre.

« Les chrétiens qui ne respectent pas la tradition ne sont pas chrétiens ».

Il accuse le pape, les évêques et les prêtres d’avoir perdu la foi et de ne plus savoir où ils en sont. Il critique violemment tout ce que fait l’Église officielle. Ses affirmations ne sont pas totalement fausses, mais elles sont plutôt dénuées d’esprit évangélique ! L’abbé Laguérie énonce quelques phrases comme :

« Pour moi, le parti le moins éloigné du droit naturel, c’est le Front National », ou bien :

« Les femmes ne sont pas faites pour gouverner. C’est toute la civilisation chrétienne ».

http://fr.wikipedia.org/wiki/Abb%C3%A9_Lagu%C3%A9rie

 

Bref… Passons à Bernard Lacombe, 55 ans, prêtre-ouvrier qui fait partie de la direction confédérale de la CGT.

« Je vis cette option préférentielle de l’Évangile pour les pauvres. C’est une des pierres de touche de la foi catholique. Être capable de vivre sa foi en montrant qu’elle est d’abord faite pour les plus démunis ».

« Je n’ai pas envie de convaincre mais de poser des questions. Et la croyance c’est de vivre ces questions-là justement. Toutefois je sais que je ne vais pas n’importe où ».

 

Le père Alain Bobière, 47 ans, est prêtre à Évry-Ville-Nouvelle, en Île-de-France, où il a été nommé responsable de la construction d’une cathédrale, projet ambitieux mais la ville grandit sans arrêt. La Communauté charismatique du Chemin-Neuf est très active sur le diocèse : il fallait donc suivre le mouvement.

Le père Bobière est très occupé :

« En deux ans j’ai dû prendre six repas chez moi. Je suis toujours avec les autres, au milieu des autres ».

Il s’émerveille de la générosité des gens pour la construction de la cathédrale. Par exemple une fois une famille lui a donné tout l’argent qui était prévu pour ses vacances, pour construire la cathédrale, et ils ne sont pas partis en vacances.

 

Deux prêtres du Renouveau charismatique figurent aussi dans la liste.

Francis Kohn, 41 ans, de la Communauté de l’Emmanuel, à Paris, est curé d’une paroisse et tient à Pigalle, entre deux sex-shops, un restaurant, Le bistrot du curé, qui est « un lieu d’accueil ouvert à tous, et en même temps d’évangélisation ».

Ce restaurant fonctionne grâce à 130 bénévoles qui se relaient, moitié pour servir à table et moitié pour prier dans la chapelle à l’étage au-dessus.

« Cette évangélisation sur le terrain nous tient très à cœur ».

Francis Kohn était un jeune cadre dynamique, et subitement à 27 ans il quitte tout et décide de se faire prêtre. Son père, agnostique mais tolérant, a dit seulement : « Un prêtre, ça manquait dans la famille ! »

Francis Kohn parle aussi de la prière :

« On ne peut pas agir sans prier. L’action qui ne part pas de la prière ne porte pas de fruits. Inversement une prière vraie débouche toujours sur une action concrète ».

http://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Kohn

 

Le deuxième prêtre charismatique est Marcel Bourland, curé à Dijon, qui gère sa paroisse avec un ordinateur qui lui permet de suivre tous les gens qu’il a baptisés, confirmés et mariés. Il leur écrit régulièrement. Il écrit aussi à tous les parents d’élèves de CE1 pour leur rappeler d’inscrire leurs enfants au caté l’année suivante.

Le père Bourland est un fils de bourgeois qui n’étaient pas du tout d’accord pour que leur fils devienne prêtre, mais il a persévéré, il y est arrivé. Comme on le voit, c’est un homme qui sait ce qu’il veut. C’est un prêtre très actif et sympathique, qui prie trois heures par jour. Son rêve serait d’avoir la paix !

 

Passons à Julien Potel, sociologue et prêtre de la Mission de France. Il fait des sondages, des conférences, il fait aussi de la recherche au CNRS. Il est passionné par le monde actuel et publie des livres qui dérangent parfois : sur le célibat des prêtres, sur les rapports entre l’Église et la publicité, par exemple.

Julien Potel, le prêtre qui étudie les prêtres, n’est pas très tendre avec ses confrères.

« Misère, Tiers-monde, informatique, démocratie : l’Église se trouve confrontée à des problèmes nouveaux, mais ne veut pas, ou a du mal, à les voir ».

« Que fait-on également pour remédier à la crise de vocation actuelle ? »

Julien Potel pense que « le principal obstacle vient du flou qui entoure le rôle et la fonction du prêtre dans notre société » et qu’ « on ne mobilise plus les jeunes sur un but imprécis. Les objectifs de l’Église ne sont pas précis. Il faut aussi reconnaître que le statut même du prêtre n’est plus très valorisant ! »

Il pense également que le pape devrait proposer plutôt qu’imposer.

 

Il est impossible bien sûr de les citer tous.

Certains sont folkloriques : un coureur cycliste, un éleveur de chiens de chasse, un indépendantiste basque et un autonomiste corse.

D’autres sont marginaux : un homosexuel, secrétaire de l’abbé Pierre, un prêtre marié.

Un éducateur, un jésuite prof de droit, un Malgache qui termine sa formation en France, un missionnaire qui va partir, un retraité, et le bras droit de Jacques Gaillot complètent la liste, ainsi que deux séminaristes : un futur prêtre, et un qui va laisser tomber.

 

À la fin du livre, l’auteur donne aussi quelques chiffres sur l’Église : le nombre de prêtres, de mariages religieux, ou de Français croyant en Dieu, etc.

Il donne aussi l’adresse de tous les prêtres interviewés.

On a donc un tableau assez complet et très riche des prêtres français.

Ce livre, très facile à lire par sa structure vivante et variée, donne au lecteur davantage de sympathie pour les prêtres, qui paraissent plus humains : des hommes comme les autres, mais chargés d’une mission difficile et passionnante.