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Ses idées furent d’abord violemment critiquées. Puis elles entrèrent dans les mœurs, peu à peu, et de nos jours tout le monde est à peu près d’accord pour considérer le nouveau-né comme une personne, comme un être sensible, et même hypersensible, qu’il convient d’accueillir le mieux possible.
Malgré ce préambule, je ne vais pas vous
parler aujourd’hui de naissance et de bébés. Ou plutôt d’une autre sorte de
naissance, l’autre extrémité de la vie humaine, c’est-à-dire la mort.
Vers l’époque où Leboyer révolutionnait la
naissance, aux USA Elisabeth Kübler-Ross révolutionnait la mort en inventant l’accompagnement
des mourants, pratique qui au début scandalisa l’opinion américaine (les
médecins surtout) et qui maintenant est si bien admise partout qu’il y avait ce
matin sur cette même radio une émission sur ce sujet. C’est plus qu’une
coïncidence, c’est un signe des temps.
Jean-Paul II par exemple a rappelé sans cesse
que l’homme, du début à la fin de sa vie, doit être respecté.
On prend conscience que de même que le
nouveau-né est une personne, le mourant aussi est une personne vivante qui a
besoin d’aide physique, affective et spirituelle, et qui a des choses à
dire ; et que la mort n’est pas seulement un mauvais moment à passer, un
échec désobligeant pour le médecin, ou une chose honteuse qu’il faudrait
cacher : la mort est un passage aussi important que la naissance et qu’il
convient de réussir le mieux possible.
Autrefois les gens savaient qu’il fallait se
préparer, non seulement en mettant ses affaires en ordre mais surtout en
faisant la paix avec son entourage, avec Dieu et avec soi-même. Dans la
mentalité moderne, on se réjouit que les gens meurent sans s’en apercevoir.
Heureusement il y a une réaction contre cette tendance matérialiste, avec ce
mouvement pour l’accompagnement des mourants. Cet intérêt pour la mort peut
paraître morbide : en fait, il s’agit plutôt d’une plus grande attention
aux personnes.
Moi-même j’ai participé à plusieurs
« naissances sans violence » (en tant que mère), et tout
naturellement j’en suis venue à m’intéresser à cette autre extrémité de la vie.
D’ailleurs pour une femme enceinte l’accouchement paraît aussi angoissant que
la mort, une sorte d’épreuve initiatique à surmonter. Je ne sais pas si une
personne qui n’a pas vécu ça peut le comprendre, mais ça me paraît très
important.
Bon, j’en arrive au livre d’aujourd’hui :
La source noire. Le sous-titre, Révélations aux portes de la mort,
fait un peu sensationnel, mais il ne faut pas s’arrêter à ça. L’auteur, Patrice
van Eersel, est un journaliste parisien qui raconte l’enquête qu’il a effectuée
aux USA de 1981 à 1984. Il a mis deux ans pour écrire le livre, qui a paru en
1986.
Tout commence quand P. van Eersel lit dans la
revue allemande Spiegel un article intitulé Un pied dans l’au-delà
qui parle des travaux d’un certain Dr Ronald Siegel, psychologue à l’université
de Los Angeles, qui apportait « une explication scientifique aux
étranges visions ramenées des rives de la mort par les gens qu’on avait réussi
à ranimer in extremis ».
« Qu’on ait pu trouver
à ces visions une explication scientifique me passionna d’emblée. Que disait
donc le Dr Ronald Siegel ? C’était assez simple…Notre cerveau contient
quelques centaines de milliards de neurones, et chacune de ces cellules est
reliée à ses semblables par un bon millier de passerelles, ce qui fait au bas
mot plusieurs milliers de milliards de connexions. Un impensable
ordinateur ».
Je résume : les neurones communiquent entre eux par des messagers chimiques, très voisins de ce que nous appelons les drogues. Le Dr Siegel dit, en gros, qu’au moment où l’organisme sent la mort venir, il libère automatiquement une énorme quantité de ses drogues synaptiques, provoquant ainsi une sorte d’overdose endogène et naturelle.
« Au moment de mourir, nous aurions
tous droit à une belle overdose gratuite, avec la garantie d’un très beau voyage ».
« Je lui demandai de me citer quelques noms de savants particulièrement représentatifs de cette vague « obscurantiste » qui déferlait sur la communauté scientifique ».
Il apprend ainsi les noms d’Elisabeth Kübler-Ross, Raymond Moody et Kenneth Ring.
Le journaliste rencontre d’abord Ken Ring,
professeur de psychologie à l’université du Connecticut, et là il découvre que
les savants américains disposent de milliers de données sur l’approche de la
mort. Sur la chimie du cerveau, rien. Mais des quantités de récits et de
témoignages humains. En fait, il semble que les NDE soient très fréquentes.
Le journaliste s’étonne : si ce fait est
si fréquent, pourquoi ne sommes-nous pas depuis longtemps au courant ?
Pour deux raisons, lui répond K. Ring.
D’abord les gens à qui ça arrive ont peur de passer pour fous. Puis
l’amélioration formidable des techniques de réanimation a beaucoup accru le
nombre de survivants, parmi lesquels environ la moitié ramène le récit d’une
NDE.
L’auteur lit un livre de K. Ring et
apprend que la NDE comporte cinq stades.
Le premier stade est un état de bien-être,
d’apesanteur, de calme.
« Je demeure incrédule : le meilleur moment de leur vie aurait été celui de leur quasi-mort ? C’est inconcevable. Je suis contraint, je l’avoue, d’arrêter ma lecture toutes les cinq minutes et de me frotter les yeux. Est-ce un rêve ? Suis-je bien en reportage aux Etats-Unis, en train de lire un ouvrage scientifique ? Je me pince. Mais je ne rêve pas. Poursuivons ».
Troisième stade : 23% des survivants traversent un tunnel, avec une sensation de bien-être et de vitesse.
Quatrième stade : 16% voient une lumière
énorme, blanche et dorée, très puissante et très douce, une lumière faite
d’amour.
Cinquième stade, où parviennent seulement 10%
des survivants : ils entrent dans cette lumière, impossible à décrire, où
ils expérimentent à la fois un amour total et la sensation de tout savoir.
Après la lecture de ce livre, Patrice van
Eersel a « juste 3500 questions à poser à Ken Ring » : où
peut-on rencontrer quelques-uns de ces visionnaires ? Réponse : il y
en a partout. Est-ce que cette histoire ne risque pas de pousser les gens au
suicide ? Réponse : au contraire ! Ces gens qui ont failli
mourir ont un amour de la vie incroyable, ils sont bien dans leur peau,
moralement plus forts, plus aimants, et cela de façon définitive.
Mais de là à conclure qu’il y a une vie après
la mort, il y a un pas que notre savant ne franchit pas. Elisabeth Kübler-Ross,
dit-il, est la seule à l’avoir franchi. C’est elle qui a ouvert la voie.
Elisabeth Kübler-Ross, cette petite bonne
femme venue des montagnes suisses, est une énorme personnalité qui domine tout
ce livre, elle est la Mère Teresa du monde occidental. Son histoire, dit
l’auteur, « contient la clé de la Source noire, de sa redécouverte par
nos contemporains. Pour moi, elle est le signe qu’une nouvelle civilisation est
en train de naître ».
Suit toute une partie du livre sur la vie et
les travaux de notre héroïne, née en 1926 près de Zürich. À 11 ans, elle
déclare qu’elle veut devenir « une chercheuse, une exploratrice des
zones inconnues de la connaissance humaine ».
Elle désire être médecin, ses parents n’acceptent pas. À 16 ans elle devient laborantine, puis elle travaille avec un ophtalmologiste, elle soigne des enfants tous plus ou moins menacés de cécité. C’est ainsi qu’elle découvre sa fameuse théorie des cinq phases par lesquelles passent les patients, les cinq phases du deuil que vivent aussi tous les mourants et qui sont : le refus, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation.
Après diverses péripéties, Elisabeth Kübler
arrive en Pologne où elle sauve des quantités de gens, notamment l’enfant
unique d’une femme qui avait perdu ses 12 autres enfants au camp de Maidanek.
Elle rencontre des gens extraordinaires, elle manque mourir de la typhoïde,
elle revient en Suisse, passe le baccalauréat, fait des études de médecine, se
marie avec un étudiant américain, Emmanuel Ross.
Aux USA elle découvre que la mort est un
sujet tabou (c’est surtout les médecins qui en ont une peur panique), elle voudrait
devenir pédiatre mais se retrouve par hasard psychiatre dans un hôpital
psychiatrique abominable près de Harlem, où les malades sont incurables et
traitées comme des bêtes. Elle en guérit une grande quantité en moins de deux,
simplement en leur parlant, en les traitant comme des êtres humains. En
menaçant de faire un scandale elle obtient la suppression des électrochocs punitifs.
Elle découvre que l’état affectif de la personne qui soigne est très important.
Bref, elle guérit les malades parce qu’elle les aime. Aimer, ce n’est pas un
mot scientifique, mais Elisabeth Kübler-Ross ne s’occupe aucunement de
l’opinion de ses collègues, qui sont pour le moins perplexes devant les
méthodes qu’elle emploie.
Après New York, les Ross arrivent à Denver.
Un jour, Elisabeth doit remplacer son patron pour faire une conférence aux
étudiants en médecine. Elle décide de leur parler de la mort (son mari pense
que ce n’est pas un sujet scientifique et que le public va « se
marrer »). Elle découvre qu’aucun livre n’existe sur le sujet. Elle
amène à sa conférence Linda, une jeune leucémique de 16 ans très malade, elle
lui pose des questions et Linda raconte ses sentiments, ses espoirs, ses
rêves…Les étudiants sont bouleversés.
Puis à Chicago Elisabeth enseigne à des
étudiants en théologie, de futurs prêtres qui veulent apprendre à dialoguer
avec les mourants. Elle est la seule spécialiste de cette question, à cette
époque où « l’agonisant est supposé soit tout ignorer, soit transpirer
d’angoisse ». Pendant plusieurs années, les étudiants assistent chaque
semaine à sa conversation avec un mourant derrière un miroir sans tain (le
malade est d’accord).
« Les conflits psychologiques qui ont agité notre esprit toute notre vie durant, loin de s’atténuer, sont fouettés à vif quand la mort s’annonce ».
Elisabeth aide beaucoup de gens à atteindre la phase 5, la paix.
« Partout la nouvelle circule : il y a une femme peu ordinaire, une psychiatre, qui parle de la mort avec les mourants et qui prétend qu’il ne faut priver personne de la sienne, que la souffrance demeure une épreuve à adoucir, mais que la mort peut se métamorphoser en initiation et les mourants en professeurs de vie ».
D’ailleurs la peur de la mort est la même chose que la peur de la vie.
Puis Elisabeth Kübler-Ross écrit son premier
livre. Elle en écrira sept sur l’accompagnement des mourants.
Elle découvre les NDE et se consacre surtout
aux enfants mourants et à leurs parents.
En 1970 paraît le célèbre livre de Raymond
Moody, La vie après la vie, qui décrit des cas de NDE tout à fait
semblables à ceux décrits par Ken Ring.
Notre journaliste rencontre Raymond Moody,
psychiatre en Virginie, puis Michael Sabom, cardiologue texan qui a lui aussi
étudié les NDE de cardiaques réanimés.
Il évoque les travaux de Stanislas Grof, qui
à Prague, de 1955 à 1965, teste le LSD et le fait tester à des volontaires. Au
cours de ces expériences psychédéliques, certains revivent leur naissance. Le
LSD provoque le même genre de visions que les NDE. Selon Grof, au moment de
mourir il semble qu’on revive sa naissance. Toutes les techniques d’initiation
traditionnelles (orphiques, druidiques, chamaniques, indiennes, vaudou etc.)
consistent à faire traverser sa propre mort au postulant pour qu’il « accède
à la connaissance essentielle des êtres et des choses ».
(Petit commentaire personnel : le baptême ne peut-il être considéré sous le même angle ?[1])
Freud, lui, n’a jamais résolu la question de
l’angoisse de mort, car il aurait dû entrer sur le terrain de la spiritualité
et il avait horreur de ça.
Je passe plus vite sur la psychologie
transpersonnelle, la mécanique quantique, le fonctionnement de la mémoire, les
hologrammes, les champs morphogénétiques ou ondes de forme, Bergson et
Einstein : ces recherches scientifiques complexes sont décrites par le
journaliste en termes simples et vivants, et même un lecteur ignorant (comme
moi) peut saisir de quoi il s’agit.
De plus en plus de savants étudient les NDE.
Ken Ring reçoit chez lui beaucoup de rescapés visionnaires. Il découvre que les
experiencers du cinquième stade ont subi une transformation physique,
émotionnelle, intellectuelle et spirituelle. Au sens propre, il s’agit de mutants.
Konrad Lorenz disait que « le chaînon manquant entre le singe et
l’homme, c’est nous ». Notre humanisation n’est pas terminée. Les
savants disent que nous n’utilisons que 5 à 10% de notre cerveau, 15% pour les
plus optimistes.
Seul Jésus est un homme à 100% (ça c’est pas
dans le livre, c’est moi qui l’ajoute)[2].
Les effets de la NDE sont les mêmes que ceux
de l’éveil de la kundalini que pratiquent les yogi.
Patrice van Eersel remarque aussi que ces
savants passionnés par leurs recherches sont toujours des hommes, et que les
femmes, elles, sont sur le terrain. Elisabeth Kübler-Ross, Mère Teresa, les
infirmières et aides-soignantes, passent leur temps à aider les gens.
Il s’agit de réveiller le cœur de l’homme.
E. Kübler-Ross elle-même a fait volontairement,
sous le contrôle d’un spécialiste, des expériences hors du corps. Elle en est
revenue plus énergique encore, et en meilleure santé. Elle passe son temps à
s’occuper des autres, surtout en animant des séminaires où des mourants et des
personnes en deuil peuvent exprimer leur chagrin et ainsi en guérir.[3]
Le dernier chapitre s’intitule : Puisse
l’humour de Dieu ne pas vous rester en travers de la gorge !
Encore une nouvelle idée importante. On
découvre qu’à côté de visions merveilleuses, il existe aussi pas mal de gens
qui vivent des NDE traumatisantes. La différence tient seulement à la façon de
vivre les choses. Si on se crispe, si on veut garder le contrôle, on aboutit à
la peur. Si on lâche prise, l’expérience devient merveilleuse. L’auteur n’insiste
pas sur ce point pourtant capital et qui me donne envie de conclure que nous
devons décidément nous entraîner beaucoup, durant notre vie, à la prière et à
la confiance.
Le mouvement Death and dying (mort et agonie)
s’est beaucoup répandu aux USA, en Europe et ailleurs. Il est complètement
opposé à l’euthanasie, dont on parle beaucoup aussi.
En France, l’association JALM ALV (Jusqu’à la mort accompagner la vie)
prend de l’ampleur.
« Je ne vois pas ce qui pourrait arrêter le mouvement. Les Français à leur tour ne veulent plus mourir idiots ».
Voilà. Si je vous disais que ce bouquin
fabuleux se lit comme un roman policier, je serais encore en-dessous de la
vérité, parce qu’un roman policier, même captivant, on l’oublie quand on l’a
fini. Mais ce livre qui nous apprend des choses si importantes sur nous-mêmes,
comment pourrait-on l’oublier ?
[1] Habituellement on voit surtout l’aspect purificateur du baptême, mais l’aspect traversée de la mort et renaissance existe aussi. Traversée de la mort du Christ, de la nôtre aussi.
[2] Jésus est « le Premier-né d’entre les morts », « la tête du corps » (1 Colossiens 1, 18-19), le prototype d’une nouvelle humanité
[3] Elle est morte en 2004