Pages feuilletées
L’homme qui avait
bâti sa maison sur le sable, de Michel Delpech,
éd Robert
Laffont, 1993, 184 pages
Aujourd’hui nous allons aborder un grave problème : la dépression, mais dans une perspective chrétienne, à propos du beau livre de Michel Delpech.
Tout le monde connaît Michel Delpech, devenu star de la chanson très jeune, à 20 ans. Le succès, la vie facile, font de lui un enfant gâté. Il cède à toutes les tentations, alcool, jolies filles, belles voitures, luxe effréné. Il n’a pas à gérer son argent, on le fait pour lui. On fait tout pour lui, il n’a aucun contact avec le réel, il n’est pas armé pour affronter les épreuves. Il ne supporte pas la solitude même 5 minutes, mais il est toujours entouré d’amis.
Un jour il découvre un livre d’Arnaud Desjardins, Les chemins de la sagesse. Lui qui se moquait de la religion et de la philosophie, le voilà conquis :
« Ce livre
me fait basculer, et cette quête de vérité désormais ne me quittera
plus ».
En 1973 il compose la célèbre chanson Les divorcés (500 000 disques vendus en 10 jours) avec un parolier qui devient un ami, qui lui prête des livres sur l’hindouisme, et qui lui fait rencontrer le swami Ritajananda, un maître spirituel hindou de grande qualité qui jouera un rôle important dans sa vie.
En 1975, il est au sommet de sa gloire. Les problèmes commencent : son mariage va mal, il cesse de chanter, il change son look de jeune homme sage, il se met à fumer du haschisch qui lui donne l’impression de mieux apprécier la musique. Il commence à être déstabilisé. Brutalement, sa femme, après 10 ans de vie commune et deux enfants, le quitte, d’une façon humiliante en s’affichant avec un autre. Pour lui le choc est terrible.
« Intérieurement,
c’est la chute absolue ».
Il commence à réfléchir :
« Qui suis-je
aux yeux d’autrui ? à mes propres
yeux ? »
C’est plus un problème d’identité qu’un choc affectif.
Et un soir de 1977, la maladie commence :
« Je reçois subitement à la tête l’impact d’une douleur très brève, d’une violence fulgurante. Elle transperce mon crâne et atteint mon cerveau. Qu’est-ce que j’ai ? Une parcelle de mon organisme est touchée, je le sens. C’est exactement comme si une flèche, décochée par une main invisible, avait pénétré et détruit un de mes centres nerveux. J’ai le sentiment immédiat que mon intégrité se disloque, qu’un corps étranger bouleverse d’un seul coup toute une ordonnance physiologique et me déconstruit, semblable à un grain de sable enrayant une machine. Soudain, en moi, c’est un véritable chaos ».
Je ne sais pas comment les médecins appellent ce phénomène. Mais nous qui sommes chrétiens, nous savons bien quelle est cette main invisible qui atteint Michel Delpech au plus profond de son être, qui pendant des années cherchera à le tuer, et que seul Jésus-Christ parviendra à vaincre. Michel Delpech aussi le sait, et fera tout au long du livre de nombreuses allusions à son « ignoble locataire ». Il sent que sa maladie est d’ordre spirituel. Il cherche donc de l’aide du côté de Dieu, c’est-à-dire d‘abord dans le Védanta que lui enseigne son maître indien. Mais ce chemin qui ne lui convient pas ne fait que l’enfoncer davantage.
« Cette spiritualité, mal intégrée, achève de me déstructurer».
Je signale au passage qu’Arnaud Desjardins, justement, insiste dans ses livres sur l’idée que cette spiritualité est faite pour les gens normaux et pas tellement pour nous autres Occidentaux névrosés. Le swami aurait dû tenir compte de cela, s’il était aussi génial que Michel Delpech le pense.
Bref, il va mal, il voit des fantômes, il entend des bruits anormaux, il est épuisé et incapable de se concentrer. Pour arriver à travailler il prend de la cocaïne qui n’arrange pas sa santé.
Il fait une cure de sommeil et une psychothérapie dans une clinique où il est très troublé de voir des aliénés qui ont l’air normaux : il se demande où il en est lui-même.
« La démence, comme le diable, peut revêtir toutes les apparences ».
Malgré les bons soins du médecin, il rentre chez lui aussi malade qu’avant. Il continue la drogue, l’alcool et la débauche, il est de plus en plus fragile et cherche désespérément à s’en sortir : voyage en Inde, voyante, sorciers africains, vacances, deuxième cure de sommeil, tout est inutile. Il apprend le nom de sa maladie : névrose d’angoisse. Il a d’effrayantes hallucinations, par exemple une nuit dans son lit il sent le diable qui lui saute dessus et le serre dans ses griffes comme un tigre, c’est absolument terrifiant. Il se sent complètement à sa merci.
Pourtant il a besoin d’énergie : son ex-femme, de plus en plus marginale, part vivre en Polynésie et il doit s’occuper des enfants.
Il prie beaucoup :
« Je combats sans cesse pour échapper à l’emprise de ce deuxième personnage qui habite en moi, de ce dictateur qui peut, à tout instant, décider de ma mort, au lieu et à l’heure qu’il aura choisis ».
Sa santé physique se dégrade encore. Il arrive tout de même à réussir son permis de conduire du premier coup. Mais sa carrière est au point mort. Il veille pourtant à apparaître de temps en temps à la télévision mais sa dépression l’empêche de séduire le public et les ventes de disques se raréfient. Il est hanté par le suicide, cherche encore du secours dans la psychanalyse, l’exorcisme, l’astrologie, vainement.
Une nuit, au cours d’une tournée en Bretagne, il se croit vaincu et va se résigner au suicide. Mais il y échappe encore car ses amis veillent sur lui.
Après une troisième cure de sommeil, il a assez de lucidité pour refuser les traitements barbares que le médecin lui propose (lobotomie, électrochocs).
Infatigable dans sa quête, malgré son épuisement, il essaie encore le spiritisme, le magnétisme, le caisson d’isolation sensorielle, méthode de relaxation dans l’eau, qui lui fait beaucoup de bien.
À partir de maintenant, il arrête de descendre et il ne cessera de remonter (il était temps, car le livre devenait angoissant !)
Il revient à l’église catholique :
« Lorsque plus rien sur la terre ne peut vous retenir et qu’en désespoir de cause on se tourne vers lui, le problème de la foi ne se pose plus : on l’a. Quand il n’y a plus que Dieu, il se montre ».
Il passe des journées entières à se reposer et à dormir dans les églises, le seul lieu où il se sent en sécurité. Il va mieux. Il devient ami avec un moine de l’abbaye de Saint-Wandrille, où il fait des retraites.
Il va prier à la chapelle de la rue du Bac.
Il décide de tout
quitter et de recommencer une autre vie aux Etats-Unis ou à Tahiti avec ses
enfants. Alors que son départ est imminent, en 1983, il rencontre une jeune
femme, Geneviève, dont il tombe amoureux. Sa vie prend enfin un sens. Il
renonce à son départ, déménage, s’installe avec Geneviève et rompt avec tout
son passé, avec ses amis, ses anciennes compagnes, ses partenaires
professionnels, il détruit ses livres sur l’hindouisme, les vieilles photos,
tout ce qui lui rappelle le passé. Il lit
Voilà que son ex-femme se suicide. Il peut donc épouser Geneviève à l’église (ce sera en 1985 dans une église orthodoxe copte). Il ressent Geneviève comme un don du ciel, comme une lumière dans sa nuit.
« Geneviève cherche par tous les moyens à sa disposition à me redonner la lumière et non uniquement à plaire ».
« C’est
grâce à elle que je peux reprendre possession de moi-même ».
Avec beaucoup de patience et de dévouement, elle s’occupe de lui, lui redonne goût au travail, elle le pousse à réagir, à reprendre une vie structurée. C’est long et difficile : il y a tant de dégâts à réparer ! Ensemble ils vont à Lourdes, où son état s’améliore encore.
Puis ils vont à Jérusalem, et l’histoire s’arrête là : sur le tombeau du Christ, il est guéri instantanément, définitivement. Le soleil a triomphé des ténèbres, même si la reconstruction nerveuse prendra encore du temps.
Un fils, Emmanuel, leur naîtra.
Michel Delpech cesse de fréquenter régulièrement le swami, tout en lui gardant une grande estime.
Peu à peu il reconquiert son public, en 1985 il passe à l’Olympia.
Bilan de son aventure :
« J’ai l’impression qu’on ne peut pas avoir été plus indigne que moi. Je me suis répandu sur ma propre souffrance, j’ai été d’une faiblesse maladive, je me suis jeté dans les bras de n’importe qui, j’ai donné ma conscience à diriger sans savoir ni pourquoi ni comment. J’ai eu toutes les lâchetés, la sensation de traverser les zones les plus obscures de la conscience humaine, d’avoir été jusqu’au bout de l’infamie. Toutes ces expériences par lesquelles je suis passé m’ont beaucoup enrichi ».
Et voici les dernières phrases du livre :
« L’épreuve est terminée. La douleur et la souffrance aussi. À plus de 40 ans, j’apprends enfin la vie ».
Michel Delpech a écrit ce livre pour justifier ses 10 ans d’absence : ainsi maintenant tout le monde sait à quoi s’en tenir. Sur ces 10 ans, sa maladie a duré environ 7 ans.
Le titre L‘homme qui avait bâti sa maison sur le sable est tiré d’une parabole de l’Evangile, où cette expression désigne celui qui ne fonde pas sa vie sur Dieu, sur du solide, celui qui est donc sujet aux troubles et à la destruction.
Michel Delpech a maintenant bâti sa maison sur le roc, et le mal ne peut plus l’atteindre.
En décembre 1993, peu après la parution du livre, Michel Delpech a témoigné à l’émission Bas les masques intitulée Dieu a transformé ma vie. Il a évoqué son histoire avec pudeur et simplicité, avec un visage rayonnant d’humilité et de bonté. Toutes ces qualités se retrouvent dans son livre, qui est facile à lire, émouvant, sincère.
J’aime aussi sa tolérance : il n’accuse personne de ses maux, sauf lui-même et le mystérieux ennemi de l’humanité. Il ne dit du mal d’aucune des personnes à qui il a demandé aide, même les plus bizarres. Bien qu’il soit maintenant chrétien, il garde entières son admiration et sa tendresse pour son ami hindou. Il ne critique pas non plus la médecine qui lui a été utile même si elle ne l’a pas guéri. Il reconnaît toute la gentillesse dont ses amis l’ont entouré. Sa reconnaissance va surtout à sa femme, dont l’amour lui a sauvé la vie. Il chante ses louanges d’une façon magnifique.
Vraiment il n’y a plus en lui que des sentiments paisibles et bons. Visiblement, l’esprit qui l’habite maintenant est celui de Jésus.
Cet homme si humain et si courageux inspire la sympathie et le respect, et quand on a lu son livre, on lui souhaite de continuer sur ce chemin d’équilibre et de bonheur.
Ce livre peut intéresser tous ceux qui sont concernés par le douloureux problème de la dépression, maladie si difficile à soigner dans ses formes graves, car Michel Delpech nous le montre bien, les causes en sont à la fois physiques, psychologiques et spirituelles. Il nous indique une espérance.
Ce livre peut aussi plaire simplement à ceux qui sont touchés par les témoignages authentiques de quête de vérité et de vie.