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Marcelle Auclair, A la grâce de Dieu, éd Seuil, 1973, 170 pages

 

 

 Marcelle Auclair, écrivain et journaliste, est connue surtout pour son célèbre Livre du bonheur paru en 1959, une leçon d’optimisme. Mais la liste de ses œuvres est longue, une trentaine de titres : des romans, des biographies (sainte Thérèse d’Avila, Jaurès, Lorca, sainte Bernadette), des mémoires, et différents livres religieux pour enfants.

Le livre qui nous intéresse aujourd’hui, À la grâce de Dieu, comme son nom l’indique parle de Dieu avec grâce, et de l’action de la grâce de Dieu à travers sa vie.

C’est son autobiographie spirituelle, l’histoire de ses relations avec Dieu.

En tête du livre, une phrase de l’auteur elle-même :

« Les changements dans l’Eglise sont tels, que bien des gens ne retrouvent plus leur Bon Dieu. J’ai suivi le mien à la trace, et cherché à l’identifier ».

 

Marcelle Auclair est née avec le siècle dans le centre de la France, dans une famille cultivée, catholique sans bigoterie, d’une profonde bonté. Dès la plus tendre enfance elle découvre la prière :

« J’avais trois ans lorsque mon frère unique mourut, bébé de deux mois. J’eus beaucoup de chagrin. Je montais au grenier, et agenouillée sur une chaise défoncée, face à une lucarne sur le ciel, je priais en cachette…Pas pour mon frère, mais avec lui. Je dis prière. Il s’agissait plutôt, je ne l’ai compris que longtemps après, d’oraison instinctive : l’immersion très tendre, totale, dans une clarté paisible, sans forme, sans contours, diffuse, mais resplendissante (…). Ni ma mère, ni personne, n’a jamais rien su de ces fuites vers le haut. On s’en serait d’autant moins douté que je n’étais pas de ces enfants qui parlent de Jésus à tout propos. On avait peine à me faire tenir tranquille pendant la prière du soir et du matin. Mais le souvenir du grenier, de ce bel amour, ne m’a jamais quittée ».

 

Elle a 7 ans quand elle emménage, avec ses parents, à Santiago du Chili où elle passera toute sa jeunesse. Elle va à l’école chez des religieuses, puis de crainte qu’elle n’oublie sa langue maternelle, on la met à 10 ans dans un cours tenu par une vieille demoiselle française bigote et bornée. A ce propos elle critique violemment l’éducation religieuse donnée à cette époque aux jeunes filles de la bourgeoisie.

« Tel Formulaire de prières à l’usage des Enfants de Marie donne du 19ème siècle une idée à faire peur. Les examens de conscience peignent l’époque bien plus cruellement que ne l’ont fait un Balzac, un Flaubert, et même un Zola : ce sont des monuments d’hypocrisie ».

Lasse de cette ambiance étouffante, elle entre à 14 ans dans un collège nord-américain, c’est-à-dire anglophone. Elle doit donc travailler énormément pour apprendre l’anglais assez couramment pour suivre les cours. Elle y réussit, car cette jeune personne a beaucoup de volonté.

Elle dévore les auteurs classiques anglais et français.

« Notez en passant qu’il ne fut pas question pour moi du moindre baccalauréat. L’idée ne me serait pas venue de travailler pour autre chose que pour le plaisir. Somptueuses 16ème et 17ème années ! »

 

Puis elle découvre la « pensée positive », qui aura un effet spectaculaire sur la santé de sa mère. Elles découvrent « que la volonté de Dieu est bonheur. À nous de ne pas la contrecarrer. Jamais plus [ma mère] ne fut malade ; sa gaieté, son entrain, son activité, son dévouement furent une bénédiction pour tous ».

« L’instant où nous comprîmes cela, ma mère et moi, fut le plus important de toute notre existence ».

« Je suis le Chemin [dit Jésus]. On peut toutefois se fourvoyer sur des voies de traverse ».

Elle décrit avec humour les étranges cours de la yogi douteuse qu’elle fréquenta quelque temps.

« Certaines rencontres ne sont pas sans danger, quand le sens de l’humour fait défaut. L’humour évite de s’abandonner à l’influence (…) qu’un « maître», dans certains cas, exerce sur les natures faibles ou anxieuses. En toutes circonstances, rester lucide, chose bonne à savoir, dès le jeune âge. L’expérience pseudo-tibétaine ne fut pas entièrement perdue : une recherche spirituelle, même ratée, n’est jamais vaine ».

« Cette gamine avide de spiritualité vivait simultanément des amours tumultueuses », ce qui ne l’empêche pas d’aimer Dieu.

« En ce temps-là, j’avais pour Dieu le Père une grande tendresse. Mes rapports avec lui étaient simples, confiants. Il ne me faisait pas peur du tout. (…) Ma prière était un tendre soliloque, suivi de la contemplation heureuse de Toute Perfection ».

 

Là-dessus, la jeune fille écrit en trois semaines un roman en espagnol, Toya, qu’elle publie avec un énorme succès. Tous les critiques d’Amérique du Sud crient au génie, sauf un, grâce à qui elle découvre qu’elle a des progrès à faire, et qu’elle n’y réussira pas en restant à Santiago, qui n’est qu’un grand village. Elle décide donc d’aller vivre à Paris, car, pense-t-elle, « il est tonique d’être incompris ».

Sur le bateau elle déchire et jette à l’eau toutes les lettres de recommandation données par son père qui a de nombreux amis dans le milieu littéraire parisien. Cette jeune fille décidée veut se débrouiller toute seule. Paris lui plaît beaucoup, et voilà qu’un jour elle retrouve une de ses lettres de recommandation qui avait échappé au massacre « par hasard » (« Imbéciles, qui donnons à Dieu le nom de hasard »).

Grâce à cette lettre, elle arrive à la Maison des amis des livres, une librairie fréquentée par les plus grands écrivains de l’époque, Claudel, Valéry, Gide, Giraudoux, Léon-Paul Fargue, Valery Larbaud qui lui donnera des conseils littéraires, et enfin l’écrivain Jean Prévost qui deviendra son mari en 1926. Ils auront trois enfants, tous écrivains comme leurs parents. Jean Prévost mourra assez jeune en héros de la Résistance.

 

Marcelle Auclair entrera, toujours « par hasard » (avec beaucoup de guillemets), dans le journalisme.

« Consciente de la direction divine, je me suis laissée guider. Soit qu’une brusque intuition m’ait poussée, soit que des événements imprévisibles m’aient ouvert des horizons insoupçonnés, je n’ai fait qu’obéir à mon Seigneur et Maître. Cette attitude, librement et joyeusement adoptée, fut la plus grande chance de ma vie ».

Elle tient une rubrique féminine dans un journal, ce qui l’aide à connaître les femmes et à comprendre que leur intérêt dans la vie c’est « être heureuses et rendre heureux ceux qu’elles aiment. Cette évidence me suggéra l’idée d’un magazine féminin dont l’optimisme et le plaisir de vivre seraient la clé. Une cure de bonheur hebdomadaire. Ainsi naquit Marie-Claire (…). J’eus le sentiment de contribuer à améliorer le sort de mes contemporaines. Des milliers de lettres me le prouvaient. Vrai , on enseigne tout aux gens, sauf à vivre ».

 

En 1938 elle publia un opuscule, Le bonheur est en vous.

« Il fut à l’origine de mes livres sur le bonheur (…). Des romans offrant du monde et des humains une vision dramatique auraient mieux servi ma réputation d’écrivain. La joie de vivre semble vulgaire aux gens de lettres ».

Marcelle Auclair parle de la chance :

« On donne le nom de chance au courage des autres. L’espérance n’a pas toujours les apparences de la raison ; pour la saisir, il faut sauter dans le vide. Les chances nous sont offertes, elles ne nous sont pas données : on paie le prix. Un prix souvent austère : l’abandon de certaines choses auxquelles nous tenons, et l’exercice d’une vertu sans prestige : la persévérance ».

 

À cette époque, elle s’éloigne, pour un quart de siècle, de la pratique religieuse, à cause d’un prêtre qui la déçoit. Les catholiques français la déçoivent aussi. Mais elle ne cessera jamais de prier ni de lire les Écritures. Elle continue ses recherches métaphysiques papillonnantes, dans tous les mouvements spirituels qu’elle rencontre, les « sectes » comme on dit de nos jours : la religion tibétaine, la théosophie, l’anthroposophie, les Témoins de Jéhovah, et pas mal d’autres, mais surtout elle étudie la Bhagavad Gita, livre sacré hindou, qui lui apporte beaucoup et l’aide même à mieux comprendre sainte Thérèse d’Avila, sa sainte préférée, dont elle lit les œuvres depuis l’âge de 14 ans.

 

« Les principes de spiritualité n’existaient pour moi que vécus : cela m’a gardée de la confusion. L’intellect, la curiosité d’esprit peuvent divaguer : la mise en action canalise. Je transposais mes acquisitions dans le quotidien et travaillais sur moi-même avec acharnement. Cela me permettra d’écrire un jour Le livre du bonheur ».

Elle fréquente aussi un dominicain qui lui parle sans cesse de la Trinité et du Saint Esprit.

« Son monologue s’élevait à des hauteurs où j’étais bien incapable de le suivre, mais je captais de ses visions lumière, chaleur, de même qu’on capte la lumière et la chaleur du soleil sans rien savoir de la composition de ses rayons ».

 

Pendant la guerre, veuve avec trois enfants elle eut une vie très difficile mais sa confiance en Dieu et en sainte Thérèse fit qu’elle ne s’inquiéta de rien et résolut tous les problèmes. Sainte Thérèse, par exemple, lui fit trouver un appartement sans problème à une époque où c’était très difficile. Si bien qu’elle décida, par reconnaissance et amitié pour sa sainte protectrice, d’écrire sa biographie, après avoir traduit les 2 000 pages de son œuvre.

Pour cela, il lui fallut faire un long périple à travers tous les Carmels d’Espagne, en compagnie d’une photographe. Elle obtient du Vatican la permission (que personne n’avait jamais demandée) d’entrer dans la clôture de ces Carmels.

« Avec l’audace que Dieu donne à une fourmi [suivant une formule de sainte Thérèse], je demandai au gouvernement espagnol de mettre une voiture à ma disposition ».

Ce sera une somptueuse Buick avec chauffeur, qui sera très utile pour lui ouvrir certaines portes (il y a notamment une scène extrêmement drôle avec un certain vicaire général…)

Marcelle et sa collègue sont accueillies chaleureusement par les carmélites.

« Dans ces monastères, tout est d’une extrême pauvreté, mais beau de la simplicité des formes et de l’harmonie de quatre couleurs : blanc des murs, brun de la bure et des bois, rouge-rose-rouillé des briques, des tuiles, des carrelages, le bleu du ciel comme toile de fond ».

Les jeunes sœurs à la récréation chantent et dansent. Les autres les regardent en filant la laine.

« Beauté des réfectoires. Ce sont de longues pièces blanchies à la chaux, souvent voûtées. Les tables, étroites, polies à coups de torchon depuis des siècles, brillent discrètement ».

Elle a le bonheur de rencontrer une sainte carmélite, très vieille, mourante, mais magnifique, qui lui donne de précieux renseignements pour son enquête et qui l’impressionne beaucoup.

Quand elle doit quitter ce séjour enchanteur pour retourner dans le monde moderne, elle a l’impression de quitter l’abondance pour la pénurie, et non l’inverse.

 

En 1950, la parution de sa Vie de sainte Thérèse d’Avila, qui a énormément de succès, lui procure l’occasion de rencontrer Mgr Roncalli, futur Jean XXIII. Elle en profite pour lui parler avec ardeur de la cause qu’elle défend, l’appel de Stockholm lancé, en cette période de guerre froide, par les partisans de la paix mondiale contre la bombe atomique. Beaucoup de catholiques sont opposés à ce mouvement pour la paix, de crainte de passer pour communistes, c’est l’époque où les communistes viennent d’être excommuniés par le pape. Cette haine des catholiques pour la paix indigne profondément notre amie Marcelle qui pense, elle, que Dieu est plutôt pour la paix que pour la guerre. Le nonce Roncalli écoute avec beaucoup d’intérêt les informations que lui donne Marcelle Auclair et lui demande un rapport écrit sur ce sujet.

Mais dans la hiérarchie catholique, beaucoup ne sont pas si ouverts que lui, et Marcelle Auclair en est scandalisée.

« Les prêtres ne sauront jamais assez à quel point leur comportement quotidien importe plus que leurs paroles ».

Mais « je fus sauvée le jour où je fis le raisonnement suivant : Jésus-Christ notre Seigneur a choisi comme chef de ses représentants sur la terre le seul de ses disciples qui l’ait renié trois fois. Il nous a donc prévenus : ces hommes sont faillibles. Si Pierre, qui aimait Jésus, qui a eu le privilège de partager sa vie, fut capable d’insigne faiblesse devant le danger, peut-on attendre mieux du haut et bas clergé ?

Sans illusions, mais sans colère, prenons les prêtres tels qu’ils sont.

Et recevons de leurs mains les sacrements : eux seuls sont aptes à nous les donner ».

 

Pour finir, Marcelle Auclair s’inquiète de la tendance rationaliste, dans l’Église, à refuser ce qui ne peut s’expliquer.

« Si je n’étais revenue à la pratique religieuse il y a quelque vingt ans, j’y reviendrais aujourd’hui.

Je ne pourrais souffrir de laisser mon Seigneur tout seul en ce jardin des Oliviers.

Ceci dit, qui peut savoir où jaillit l’eau vive ? »

 

Sur ces mots d’espérance se termine ce petit livre aussi allègre que nourrissant.

Marcelle Auclair n’est guère à la mode, car le bonheur dont elle nous montre le chemin est tout simple. Mais cette femme, active et mystique, intelligente, pleine de bon sens et d’humour, est bonne à fréquenter et c’est un vrai plaisir de la lire.

 

 

Ses œuvres :

1953 La Bonne Nouvelle annoncée aux enfants

1954 La Vie de Jaurès

1957 Le Mauvais Cœur, roman

1960 Ta messe, tes prières

1961 Bernadette

1967 La Vie de Sainte Thérèse d'Avila

1968 Enfance et mort de Garcia Lorca

1970 La Jeunesse au cœur

1973 À la grâce de Dieu

1975 La Joie par l'Évangile

1978 Mémoires à deux voix, écrit avec sa fille Françoise Prévost

Éditions Gallimard 

 

Toya (roman)

Anne Fauvet (roman)

Changer d'étoile (roman)

La Dame en plus, roman (éditions Nouvelle France)

La parole est à M. Vincent, (éditions La Bonne Presse)

Bernadette, biographie (éditions Bloud et Gay)

Notes et Maximes sur l'amour (Hachette)

Alliance avec le sud - contes et nouvelles (éditions Gutenberg, Lyon, 1946)