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Jean-Claude Barreau, Biographie de Jésus, éd Plon, 1994, 170 pages

 

 

Jean-Claude Barreau est bien connu. C’est un ancien prêtre, auteur de nombreux livres, chrétiens et autres, qui sont assez peu conformistes. Il est actuellement[1] conseiller de Charles Pasqua pour les problèmes d’immigration.

En 1978, dans son roman intitulé Mémoires de Jésus, on voyait Jésus marié, puis veuf.

Son dernier ouvrage, Biographie de Jésus, a des ambitions plus scientifiques : réaliser la première biographie objective de Jésus. Ernest Renan avait eu le même projet avec sa Vie de Jésus, mais les connaissances scientifiques ont beaucoup progressé depuis un siècle.

Pour la naissance et l’enfance de Jésus, JC Barreau fait le point des connaissances : on ne sait pas grand-chose. Il est sans doute né en –6 ou –7, et l’auteur pense que le lieu de naissance était plutôt Nazareth que Bethléem. Il considère Joseph comme le véritable père, et Jésus comme l’aîné de 7 ou 8 enfants, s’appuyant pour ce dernier point sur le texte même de l’Évangile.

Les récits de Noël seraient, d’après l’auteur, des symboles.

Bref, tout cela est assez vague et déjà connu.

 

La description du milieu où Jésus grandit me paraît déjà plus intéressante. Nous voyons Jésus grandir dans une famille simple mais aisée, ce qui change un peu de l’imagerie pieuse qu’on nous inflige d’habitude, avec une Sainte Famille misérable !

Jésus va à l’école de la synagogue, apprend le métier avec son père. L’artisanat n’était pas méprisé par les intellectuels, ainsi st Paul était à la fois un rabbin très savant et un fabricant de tentes.

Le paysage spirituel se compose de différentes tendances :

- les sadducéens : le clergé du Temple, conservateurs, collaborateurs, ne croyant pas à la résurrection ;

- les publicains : indigènes collaborateurs, mal vus du peuple ;

- les pharisiens et scribes : maîtres à penser, progressistes, accordant de l’importance au jugement moral ;

- les zélotes : résistants, attendant le Messie chef de guerre ;

- les baptistes : catégorie inconnue des textes ;

- les esséniens : moines de Qumrân, élitistes et fort éloignés de la pensée de Jésus malgré certaines idées à la mode.

Israël est un protectorat romain, sauf la Judée gouvernée directement par un préfet romain (il paraît que Pilate était préfet et non procurateur !)

Dans la fugue de Jésus au Temple à l’occasion de sa bar-mitsva, JC Barreau voit « un épisode criant de vérité ». On peut lui objecter qu’il y a dans la mythologie égyptienne un épisode identique, ce qui d’ailleurs ne prouve rien.

Il est bien difficile de savoir quel épisode est historique et quel symbolique. La phrase de Marie « ton père et moi » est sans équivoque, prétend JC Barreau. Mais est-ce que Marie allait raconter sa vie devant tout le monde ?

JC Barreau, calcule, d’après la date de la mort d’Auguste, que Jésus a commencé sa vie publique à l’automne 27, âgé de 34 ou 35 ans.

Jusque-là, l’auteur se contentait de donner son opinion sur différentes hypothèses, mais avec Jean-Baptiste il dérape dans le roman. Il déclare, comme s’il y avait assisté, que Jésus connaissait Jean-Baptiste (l’Évangile dit le contraire), que les deux cousins parlaient souvent ensemble de la parabole du serviteur souffrant d’Isaïe, et que l’image de l’agneau était entre eux un signe de reconnaissance ! Et que le baptême ne fut qu’une formalité où Jean versa de l’eau sur la tête de Jésus ![2]

 

Dans le récit de la tentation au désert, il voit de purs symboles.

À propos de miracles, il explique bien que c’était courant à l’époque et qu’on ne peut les tenir pour des affabulations car ils sont vraiment imbriqués au contexte, et que si on regarde bien, ils rendent un son criant de « choses vues ».

D’accord, mais quand il prétend expliquer rationnellement un certain nombre de miracles, sa démonstration n’est vraiment pas convaincante. Il affirme mais il ne prouve rien.

Il décrit ensuite l’auditoire de Jésus (les disciples, les femmes) ; son style (les paraboles étaient d’un emploi courant dans le judaïsme) ; ses idées sur le bonheur et la fraternité, sur le royaume de Dieu qui est gratuit. Il pense que Jésus n’a rien prédit sauf sa propre mort qui était évidente.

La femme adultère est son épisode préféré, il voit le sommet de l’histoire des religions dans la phrase « je ne te condamne pas ».

J’ai trouvé intéressante l’explication de l’expression « Fils de l’homme », toujours difficile à comprendre. Il y a dans Daniel la phrase suivante :

« Voici venant sur les nuées du ciel comme un fils d’homme…auquel fut confié le royaume » (les nuées ou le ciel, c’est Dieu). « Fils de l’homme » serait donc un titre messianique, beaucoup plus que « Fils de Dieu » qui ne signifie rien de spécial, ainsi les voix ont dit à Jeanne d’Arc : « Va, fille de Dieu… »

Il décrit la rupture de Jésus avec la « casherout », la loi de pureté rituelle, et avec la loi sur le shabbat.

Après une intéressante description de l’hostilité qui grandit autour de Jésus, l’auteur recommence à inventer : Jésus pour la Cène aurait  « emprunté aux Esséniens ce genre de repas de pain et de vin au cours duquel on lisait des psaumes » ! En réalité c’était, et c’est toujours, le repas pascal traditionnel juif, (il en parle d’ailleurs plus loin).

Ensuite nous tombons dans le roman policier : une embuscade politique, préparée par les zélotes et Judas, pour obliger Jésus à devenir roi, dans un lieu désertique. Il s’agit de l’épisode de la multiplication des pains, qui eut lieu sur l’herbe verte, comme chacun sait, et non dans le désert. JC Barreau explique sans peine ce miracle : comme le meeting était prévu de longue date, les gens avaient apporté des provisions et les riches avaient partagé avec les pauvres ! ce qui serait un miracle non moins grand que de nourrir 5 000 personnes avec 5 pains !

L’auteur pense que Jésus n’a jamais pensé sauver l’humanité mais seulement ses disciples, et que le reste a été inventé plus tard.

 

On sait que Jésus est probablement mort le 7 avril 30. À propos de sa résurrection, JC Barreau admet qu’il s’est vraiment passé quelque chose :

« Y a-t-il eu des apparitions ou non ? Sur quel genre de sensations se fonde la certitude tranquille des apôtres ? Nul ne peut le dire ».

Et il cite Hans Küng :

« Il n’est pas vrai que rien ne soit arrivé ».

Ensuite l’auteur étudie les interprétations mythologiques dans l’Évangile, à propos de l’ascension, de la Pentecôte, et du fameux problème de la virginité de Marie. Puis les interprétations théologiques de la vie de Jésus. La doctrine de la rédemption lui paraît aberrante, celle de l’incarnation éclairante.

Il compare Jésus à Bouddha et à Socrate et conclut :

« La personnalité du Christ est tellement extraordinaire qu’il n’est pas absurde de lui accorder sa foi ».

Pour terminer le livre, JC Barreau se demande s’il est possible d’écrire une vie de Jésus (on l’espère pour lui !) et il se demande en quoi consiste le genre littéraire des Évangiles. Il pense que les historiens ont maintenant des moyens infaillibles de trier le vrai du faux dans les textes. Ce n’est sans doute pas si simple !

 

 

Mon opinion :  

 

Malgré son ambition de rassembler tout ce qu’on sait de sûr sur Jésus, ce livre est décevant, car il existe sur Jésus et son temps pas mal de renseignements, sûrs ou probables, dont ce livre ne parle même pas. Ce livre est une vulgarisation intéressante et sympathique mais superficielle et peu scientifique. Il dit par exemple :

« Christ est l’un des titres traditionnels du Messie ».

Il ne sait même pas que c’est le même mot, l’un grec, l’autre hébreu ! Il explique quand même le sens du mot, mais un travail aussi approximatif, ça ne fait pas sérieux !

En le lisant on rêve de le refaire en mieux, avec tous les aspects de la question, avec une bibliographie plus importante, des références plus précises, au lieu de généralisations hâtives et d’inventions délirantes.

Mais JC Barreau réussit en partie à relever son défi : parler de Jésus à la fois aux croyants et aux incroyants. Les incroyants en concluent que Jésus a existé et qu’il était quelqu’un d’attachant. Les chrétiens se voient confirmés dans leur foi.

Il n’éclaircit pas le mystère de Jésus. Qui le pourrait ? Mais il me semble bénéfique qu’on nous rappelle que Jésus dépasse les cadres où nos habitudes prétendent l’enfermer. Grâce à la démarche iconoclaste de Jean-Claude Barreau, nous le voyons d’un œil nouveau, sous un angle différent, nous désirons le connaître mieux et l’aimer davantage et n’est-ce pas cela qui compte ?


 

 



[1] En 1994

[2] En fait, « baptiser » signifie en grec « plonger », donc entièrement sous l’eau, pas quelques gouttes.