Pages feuilletées
Jean-Claude Barreau est bien connu. C’est un
ancien prêtre, auteur de nombreux livres, chrétiens et autres, qui sont assez
peu conformistes. Il est actuellement[1]
conseiller de Charles Pasqua pour les problèmes d’immigration.
En 1978, dans son roman intitulé Mémoires
de Jésus, on voyait Jésus marié, puis veuf.
Son dernier ouvrage, Biographie de Jésus,
a des ambitions plus scientifiques : réaliser la première biographie
objective de Jésus. Ernest Renan avait eu le même projet avec sa Vie de
Jésus, mais les connaissances scientifiques ont beaucoup progressé depuis
un siècle.
Pour la naissance et l’enfance de Jésus, JC
Barreau fait le point des connaissances : on ne sait pas grand-chose. Il
est sans doute né en –6 ou –7, et l’auteur pense que le lieu de naissance était
plutôt Nazareth que Bethléem. Il considère Joseph comme le véritable père, et
Jésus comme l’aîné de 7 ou 8 enfants, s’appuyant pour ce dernier point sur le
texte même de l’Évangile.
Les récits de Noël seraient, d’après
l’auteur, des symboles.
Bref, tout cela est assez vague et déjà
connu.
La description du milieu où Jésus grandit me
paraît déjà plus intéressante. Nous voyons Jésus grandir dans une famille simple
mais aisée, ce qui change un peu de l’imagerie pieuse qu’on nous inflige
d’habitude, avec une Sainte Famille misérable !
Jésus va à l’école de la synagogue, apprend
le métier avec son père. L’artisanat n’était pas méprisé par les intellectuels,
ainsi st Paul était à la fois un rabbin très savant et un fabricant de tentes.
Le paysage spirituel se compose de
différentes tendances :
- les sadducéens : le clergé du Temple,
conservateurs, collaborateurs, ne croyant pas à la résurrection ;
- les publicains : indigènes
collaborateurs, mal vus du peuple ;
- les pharisiens et scribes : maîtres à
penser, progressistes, accordant de l’importance au jugement moral ;
- les zélotes : résistants, attendant le
Messie chef de guerre ;
- les baptistes : catégorie inconnue des
textes ;
- les esséniens : moines de Qumrân,
élitistes et fort éloignés de la pensée de Jésus malgré certaines idées à la
mode.
Israël est un protectorat romain, sauf
Dans la fugue de Jésus au Temple à l’occasion
de sa bar-mitsva, JC Barreau voit « un épisode criant de vérité ».
On peut lui objecter qu’il y a dans la mythologie égyptienne un épisode
identique, ce qui d’ailleurs ne prouve rien.
Il est bien difficile de savoir quel épisode
est historique et quel symbolique. La phrase de Marie « ton père et
moi » est sans équivoque, prétend JC Barreau. Mais est-ce que Marie
allait raconter sa vie devant tout le monde ?
JC Barreau, calcule, d’après la date de la
mort d’Auguste, que Jésus a commencé sa vie publique à l’automne 27, âgé de 34
ou 35 ans.
Jusque-là, l’auteur se contentait de donner
son opinion sur différentes hypothèses, mais avec Jean-Baptiste il dérape dans
le roman. Il déclare, comme s’il y avait assisté, que Jésus connaissait
Jean-Baptiste (l’Évangile dit le contraire), que les deux cousins parlaient
souvent ensemble de la parabole du serviteur souffrant d’Isaïe, et que l’image
de l’agneau était entre eux un signe de reconnaissance ! Et que le baptême
ne fut qu’une formalité où Jean versa de l’eau sur la tête de Jésus ![2]
Dans le récit de la tentation au désert, il voit de purs symboles.
À propos de miracles, il explique bien que
c’était courant à l’époque et qu’on ne peut les tenir pour des affabulations
car ils sont vraiment imbriqués au contexte, et que si on regarde bien, ils
rendent un son criant de « choses vues ».
D’accord, mais quand il prétend expliquer
rationnellement un certain nombre de miracles, sa démonstration n’est vraiment
pas convaincante. Il affirme mais il ne prouve rien.
Il décrit ensuite l’auditoire de
Jésus (les disciples, les femmes) ; son style (les paraboles étaient
d’un emploi courant dans le judaïsme) ; ses idées sur le bonheur et la
fraternité, sur le royaume de Dieu qui est gratuit. Il pense que Jésus n’a rien
prédit sauf sa propre mort qui était évidente.
La femme adultère est son épisode préféré, il
voit le sommet de l’histoire des religions dans la phrase « je ne te
condamne pas ».
J’ai trouvé intéressante l’explication de
l’expression « Fils de l’homme », toujours difficile à
comprendre. Il y a dans Daniel la phrase suivante :
« Voici venant sur les
nuées du ciel comme un fils d’homme…auquel fut confié le royaume » (les nuées ou le
ciel, c’est Dieu). « Fils de l’homme » serait donc un titre
messianique, beaucoup plus que « Fils de Dieu » qui ne
signifie rien de spécial, ainsi les voix ont dit à Jeanne d’Arc : « Va,
fille de Dieu… »
Il décrit la rupture de Jésus avec la
« casherout », la loi de pureté rituelle, et avec la loi sur le
shabbat.
Après une intéressante description de
l’hostilité qui grandit autour de Jésus, l’auteur recommence à inventer :
Jésus pour
Ensuite nous tombons dans le roman
policier : une embuscade politique, préparée par les zélotes et Judas,
pour obliger Jésus à devenir roi, dans un lieu désertique. Il s’agit de
l’épisode de la multiplication des pains, qui eut lieu sur l’herbe verte, comme
chacun sait, et non dans le désert. JC Barreau explique sans peine ce
miracle : comme le meeting était prévu de longue date, les gens avaient
apporté des provisions et les riches avaient partagé avec les pauvres ! ce
qui serait un miracle non moins grand que de nourrir 5 000 personnes avec 5
pains !
L’auteur pense que Jésus n’a jamais pensé
sauver l’humanité mais seulement ses disciples, et que le reste a été inventé
plus tard.
On sait que Jésus est probablement mort le 7
avril 30. À propos de sa résurrection, JC Barreau admet qu’il s’est vraiment
passé quelque chose :
« Y a-t-il eu des apparitions ou non ? Sur quel genre de sensations se fonde la certitude tranquille des apôtres ? Nul ne peut le dire ».
Et il cite Hans Küng :
« Il n’est pas vrai que rien ne soit arrivé ».
Ensuite l’auteur étudie les interprétations
mythologiques dans l’Évangile, à propos de l’ascension, de
Il compare Jésus à Bouddha et à Socrate et conclut :
« La personnalité du Christ est tellement extraordinaire qu’il n’est pas absurde de lui accorder sa foi ».
Pour terminer le livre, JC Barreau se demande s’il est possible d’écrire une vie de Jésus (on l’espère pour lui !) et il se demande en quoi consiste le genre littéraire des Évangiles. Il pense que les historiens ont maintenant des moyens infaillibles de trier le vrai du faux dans les textes. Ce n’est sans doute pas si simple !
Mon opinion :
Malgré son ambition de rassembler tout ce
qu’on sait de sûr sur Jésus, ce livre est décevant, car il existe sur Jésus et
son temps pas mal de renseignements, sûrs ou probables, dont ce livre ne parle
même pas. Ce livre est une vulgarisation intéressante et sympathique mais
superficielle et peu scientifique. Il dit par exemple :
« Christ est l’un des titres traditionnels du Messie ».
Il ne sait même pas que c’est le même mot, l’un grec, l’autre hébreu ! Il explique quand même le sens du mot, mais un travail aussi approximatif, ça ne fait pas sérieux !
En le lisant on rêve de le refaire en mieux, avec tous les aspects de la question, avec une bibliographie plus importante, des références plus précises, au lieu de généralisations hâtives et d’inventions délirantes.
Mais JC Barreau réussit en partie à relever son
défi : parler de Jésus à la fois aux croyants et aux incroyants. Les
incroyants en concluent que Jésus a existé et qu’il était quelqu’un
d’attachant. Les chrétiens se voient confirmés dans leur foi.
Il n’éclaircit pas le mystère de Jésus. Qui
le pourrait ? Mais il me semble bénéfique qu’on nous rappelle que Jésus
dépasse les cadres où nos habitudes prétendent l’enfermer. Grâce à la démarche
iconoclaste de Jean-Claude Barreau, nous le voyons d’un œil nouveau, sous un
angle différent, nous désirons le connaître mieux et l’aimer davantage et
n’est-ce pas cela qui compte ?