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La petite princesse de Dieu, de Catherine Rihoit,  Plon, 1992, 340 pages

 

                                                  

Catherine Rihoit est une jeune romancière ordinaire, qui après avoir publié une douzaine d’ouvrages sur des sujets quelconques, a un jour découvert l’histoire de sainte Thérèse de Lisieux. Captivée par cette personnalité exceptionnelle, elle l’a étudiée à fond (une abondante bibliographie en témoigne : 34 ouvrages de référence).

Puis elle a rédigé une « autobiographie » de Thérèse : un récit à la première personne des origines de sa famille, de son enfance et de sa jeunesse, jusqu’à sa profession religieuse à l’âge de 17 ans et demi.

 

Le père de Thérèse, Louis Martin, est né en 1823. Il fut le seul survivant de 5 enfants. Son père était capitaine, un homme imposant et pieux. Sa mère, une sainte femme, travailleuse. Louis est un enfant timide qui aime la poésie. Il apprend le métier d’horloger, veut entrer au monastère du Grand Saint-Bernard, en Suisse, mais on le refuse car il ne sait pas le latin. Il s’installe comme horloger à Alençon, passant son temps libre à l’église et à la pêche. Il devient un célibataire endurci.

Pendant ce temps, Azélie Guérin, née en 1831, est une petite fille malheureuse, élevée par des parents durs et austères. Son seul moment de bonheur, ce sont les deux années passées au pensionnat. Heureusement, l’affection de sa sœur et de son petit frère adoucissent cette triste ambiance. Zélie décide de devenir une sainte. Elle veut devenir Petite sœur des pauvres : on la refuse, elle aussi. Elle doit gagner sa vie : elle devient dentellière et même chef d’entreprise, des ouvrières travaillent pour elle, on lui passe des commandes de Paris. Le point d’Alençon est une dentelle renommée, très chère, nécessitant une habileté et une patience incroyables.

Un jour, Zélie croise sur un pont un beau jeune homme mélancolique. Elle comprend qu’il lui est destiné. Le mariage a lieu peu après. Elle a 27 ans et lui 35.

                                        

 

Le couple aura 9 enfants : Marie (née en 1860), Pauline (née en 1861), Léonie (née en 1863), Hélène (née en 1864 et morte à 5 ans et demi, une magnifique petite fille), puis un garçon, Joseph, en 1866 (mort quelques mois après), ensuite Jean-Baptiste en 1867 (mort aussi à quelques mois), Céline en 1869, une première Thérèse en 1870 (morte de faim à 3 mois. Les nourrices n’étaient pas toujours sérieuses, et Zélie était trop fatiguée pour nourrir sa fille elle-même), enfin en 1873 une seconde Thérèse, celle que nous connaissons.

Marie et Pauline, les deux aînées, étaient  nommées par leur père « le diamant » et « la perle fine ».

« Les rôles étaient déjà distribués : Marie était forte mais timide, Pauline intelligente et drôle, Léonie faible de corps et d’esprit, mais patiente et courageuse. Hélène était la beauté ».

 

Vers 1864, Zélie commence à avoir un cancer du sein qui finira par l’emporter en 1877. La mort de ses petits et de ses parents l’accable, le travail l’épuise, son éducation lui fait croire en un Dieu sadique qui aime la souffrance de ses créatures :

« Sa maternité se confondait avec sa rage de souffrir ».

En 1870 les Martin vendent l’horlogerie-bijouterie, puis Zélie aussi arrête de travailler : ils auront ainsi plus de temps pour s’occuper de leurs enfants. À la naissance de Thérèse, Zélie a 41 ans. Elle écrit :

« J’aime les enfants à la folie, j’étais née pour en avoir, mais il faudra bientôt que cela finisse ».

Thérèse sera en effet la petite dernière de la famille.

 

Sa mère dut la mettre en nourrice à la campagne, comme les autres, car son lait apparemment empoisonnait ses enfants. Chez sa nourrice, Rose, une personne de confiance, elle apprendra à aimer la nature et la simplicité. Au sevrage à 18 mois, elle revient chez ses parents. C’est une enfant blonde aux yeux bleus, jolie, pleine de vie, intelligente, affectueuse, volontaire, passionnée, joyeuse.

Elle a 4 ans et demi quand sa mère meurt de cancer, d’amertume et d’épuisement, regrettant encore de ne pas avoir pu entrer au couvent.

Une période très dure commence pour Thérèse : de 4 ans et demi à 14 ans elle traverse un « hiver de la vie ». Elle se renferme, devient très timide, tombe souvent malade. La famille Martin déménage à Lisieux, pour se rapprocher de l’oncle Isidore Guérin, pharmacien, dont la femme Céline s’occupera beaucoup des jeunes orphelines. La nouvelle maison, « Les Buissonnets », est dans un quartier tranquille, avec un grand jardin. Le père fait tout ce qu’il peut pour rendre la vie agréable à ses filles.

« Le pauvre petit père n’avait qu’un défaut, il était faible. Maman le savait, elle en avait un peu souffert et bien profité (…). La mort de maman l’avait physiquement vieilli. Sa barbe était maintenant blanche. Nous l’appelions « le Patriarche ». mais il était pour moi seule « mon roi chéri ». Et j’étais « sa petite reine », « sa princesse des neiges », « l’orpheline de la Bérézina ». Maintenant qu’il tentait d’avoir pour nous des attentions maternelles, la tendresse et la douceur de sa nature se laissaient libre cours. Il nous aimait beaucoup et peut-être trop. J’étais si avide d’aimer et d’être aimée… »

L’une après l’autre, les filles Martin vont en pension chez des religieuses. Marie sert de mère à la petite Céline, et Pauline à la petite Thérèse. À 8 ans et demi, Thérèse aussi va à l’école, comme demi-pensionnaire. Auparavant, c’étaient ses sœurs qui lui faisaient l’école. Elle aurait préféré rester en sécurité à la maison, mais c’est une famille bourgeoise qui veut que ses enfants réussissent dans la société. En fait, Pauline et Marie entrent au Carmel. Thérèse décide, dès l’enfance, d’en faire autant.

À 10 ans elle souffre de graves troubles nerveux, avec délires et hallucinations, pendant quelques mois. C’est là qu’a lieu le célèbre épisode de la Vierge au sourire : une statue de Marie sourit à la petite malade, qui est aussitôt guérie.

À 11 ans elle fait sa première communion. Au cours des trois jours de retraite, les religieuses sont obligées de la coiffer comme un bébé car elle ne sait pas le faire elle-même. Du côté de la vie spirituelle, en revanche, elle était d’une maturité exceptionnelle, pleine d’amour pour Dieu, faisant avec joie toutes sortes de sacrifices.

À 13 ans elle aménage une pièce à sa guise, avec des oiseaux, des jardinières de fleurs, un oratoire, un bureau, elle en fait un lieu qui lui ressemble.

Léonie entre chez les Clarisses, puis revient à la maison et entrera ensuite à la Visitation.

 

Au Noël de ses 14 ans, Thérèse sort subitement de l’enfance, elle se rend compte qu’elle a le droit et même le devoir de grandir, et elle se remet à vivre, alors que quelque chose en elle était resté bloqué à 4 ans et demi, à la mort de sa mère. Elle annonce à son père sa décision d’entrer au Carmel le plus vite possible. Le père, « un religieux égaré dans le monde », accepte et trouve même que Dieu lui fait beaucoup d’honneur en lui demandant tous ses enfants.

Mais les mauvaises langues de Lisieux trouvent cette famille bien étrange : la France de 1887 se déchristianise, le mysticisme n’est pas à la mode mais il a toujours été un moyen d’expression privilégié pour les femmes, qui n’en avaient pas beaucoup au 19ème  siècle. Zélie Martin avait été une femme moderne, active,

« chef d’entreprise, mais cela ne l’avait pas rendue heureuse, elle n’avait pu profiter de son succès. Je l’avais vue déchirée par les regrets autant que par le cancer ».

Thérèse n’a aucune envie de suivre son exemple. Mais le supérieur du Carmel et l’évêque de Bayeux ne veulent pas la laisser entrer au couvent à 15 ans.

Elle décide d’aller demander au pape. Le voyage à Rome l’intéresse beaucoup, mais le pape ne l’autorise pas non plus. Finalement elle pourra entrer au Carmel à 15 ans et 3 mois : elle n’aura pas trop attendu.

L’amour humain ne l’intéresse pas, seul Dieu peut combler son besoin d’amour absolu.

« La mort de ma mère avait frappé de terreur tout amour terrestre. J’étais marquée d’un deuil infini ».

Quant à son père, elle l’adore tellement qu’il lui serait impossible de trouver un autre homme qui lui plaise autant !

 

Enfin la voilà au Carmel, dans le désert tant convoité. Elle ne se fait pas d’illusions sur la vie religieuse mais

« j’étais dans un endroit où l’on devait faciliter ma quête au lieu de l’entraver, comme c’était le cas à l’extérieur. Alors, tout me semblait beau ».

« Sœur Fébronie m’expliqua que si j’avais si peu à dire, c’était à cause de la simplicité de mon âme. Ce trait, ajouta-t-elle, indique l’approche du divin. Plus j’approcherais de Dieu, plus je serais simple. Jusque-là on me l’avait reproché, on me trouvait même parfois simplette. J’en avais souffert. Maintenant je voyais que cela me conduisait vers Dieu. Qu’on m’oublie, que je souffre, que je meure ! Qu’on ne voie plus mon visage ! Que je ne sois plus rien, pour être prise par Celui qui est Tout ! »

Louis Martin tombe malade. Il vivra encore quelques années avec diverses infirmités physiques et mentales. C’est une grande épreuve pour Thérèse et ses sœurs. Après sa mort, Céline est entrée aussi au Carmel.

Le récit s’arrête le 24 septembre 1890, à l’engagement définitif de Thérèse, qui est en quelque sorte son mariage avec Dieu, de même que les romans se terminent souvent au mariage des héros.

 

L’auteur a voulu montrer l’histoire humaine de Thérèse, l’histoire de son désir.

« Comment parler d’elle encore aujourd’hui ? A côté d’un langage ecclésiastique qui en fait une image pieuse, d’un langage psychiatrique qui en fait une névrosée, et du langage mystique qui nous est aujourd’hui difficilement pénétrable, j’ai choisi de parler d’elle comme elle m’a parlé. C’est-à-dire très simplement ».

Catherine Rihoit dit aussi que de nos jours on soignerait la tuberculose de Thérèse,

« on guérirait son corps et son âme dépérirait »

car de nos jours on ne se préoccupe guère de l’âme.

L’avant-propos, où C. Rihoit explique sa vision de Thérèse, est tout à fait intéressant, riche et profond.

Puis il y a le récit, cette autobiographie fictive qui est un mélange de deux choses :

- une paraphrase des écrits de Thérèse, en beaucoup moins bien, car C. Rihoit délaye pas mal, ce qui enlève de la force, de la fraîcheur et de la profondeur ;

- et des commentaires plus ou moins psychanalytiques en langage moderne, intéressants bien que parfois tirés par les cheveux.

L’auteur a ajouté aussi un grand nombre de détails, quelquefois ignorés de Thérèse elle-même, tirés de documents d’époque, lettres de Zélie ou autres, qui contribuent à éclairer encore le portrait de notre héroïne.

Les commentaires psychanalytiques sont un peu lourds. Catherine Rihoit insiste beaucoup sur les raisons qui ont pu pousser Thérèse dans cette voie : la vocation religieuse contrariée de ses parents, la mort prématurée de sa mère qui lui rend impossible la confiance dans un engagement humain, son père modèle masculin idéal et inimitable, etc.

Mais beaucoup de petites filles ont eu des mères névrosées ou mortes et ne sont pas devenues sainte Thérèse pour autant. Même analysée en détail, scrutée de près, Thérèse reste une étonnante merveille.